Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu'en 1814
depuis. Les Girondins le dédaignèrent, parce qu’ils n’en prévirent pas les dangers ; mais il devait s’accréditer à mesure qu’ils deviendraient plus faibles, et leurs ennemis plus audacieux. Ce qui y avait donné lieu, était le projet de se défendre derrière la Loire, et de transférer dans le midi le gouvernement, si le nord était envahi et Paris forcé ; ensuite la prédilection qu’ils montraient pour les provinces, et leur déchaînement contre les agitateurs de la capitale. Rien n’est plus aisé que de dénaturer une mesure en changeant l’époque dans laquelle cette mesure a été conçue, et de trouver dans la désapprobation des actes désordonnés d’une ville, le dessein de liguer contre elle toutes les autres villes de l’état. Aussi les Girondins furent désignés à la multitude comme des fédéralistes. Pendant qu’ils dénonçaient la commune, et qu’ils accusaient Robespierre et Marat, les Montagnards faisaient décréter l’unité et l’indivisibilité de la république ; c’était là une manière de les attaquer, et de faire planer sur eux le soupçon, quoiqu’ils adhérassent à ces propositions avec tant d’empressement, qu’ils semblaient regretter de ne les avoir pas faites eux-mêmes.
Mais une circonstance, en apparence étrangère aux débats de ces deux partis, servit encore mieux les Montagnards. Déjà enhardis par les fausses tentatives qui avaient été dirigées contre eux, ils n’attendaient qu’une occasion pour devenir assaillants à leur tour. La convention était fatiguée de ces longues discussions : ceux de ses membres qu’elles ne concernaient point, ceux même, dans les deux partis, qui n’étaient pas au premier rang, éprouvaient le besoin de la concorde, et voulaient qu’on s’occupât de la république. Il y eut une trêve apparente, et l’attention de l’assemblée se porta un moment sur la constitution nouvelle, que le parti montagnard fit abandonner pour statuer sur le sort du prince déchu. En cela, les chefs de l’extrême gauche furent poussés par plusieurs motifs : ils nevoulaient pas que les Girondins et les modérés de la Plaine, qui dirigeaient le comité de constitution, les uns par Pétion, Condorcet, Brissot, Vergniaud, Gensonné ; les autres par Barrère, Sièyes, Thomas Payne, organisassent la république. Ils auraient établi le régime de la bourgeoisie, en le rendant un peu plus démocratique que celui de 1791, tandis qu’ils aspiraient eux à constituer la multitude. Mais ils ne pouvaient parvenir à leurs fins qu’en dominant, et ils ne pouvaient obtenir la domination qu’en prolongeant l’état révolutionnaire de la France. Outre ce besoin d’empêcher l’établissement de l’ordre légal par un coup d’état terrible, comme la condamnation de Louis XVI, qui ébranlât toutes les passions, qui ralliât à eux les partis violents, en les montrant les inflexibles gardiens de la république, ils espéraient faire éclater les sentiments des Girondins, qui ne cachaient pas leur désir de sauver Louis XVI, et les perdre ainsi auprès de la multitude. Il y eut, à ne pas en douter, un grand nombre de Montagnards, qui, dans cette circonstance, agirent de la meilleure foi et uniquement en républicains, aux yeux desquels Louis XVI paraissait coupable à l’égard de la révolution ; et un roi détrôné était dangereux pour une démocratie naissante. Mais ce parti se fût montré plus clément, s’il n’avait pas eu à perdre la Gironde en même temps que Louis XVI.
Depuis quelque temps on disposait au-dehors les esprits à son jugement. Le club des Jacobins retentissait d’invectives contre lui : on répandait les bruits les plus injurieux sur son caractère ; on demandait sa condamnation pour l’affermissement de la liberté. Les sociétés populaires des départements écrivaient des adresses à la convention dans le même sens ; les sections se présentaient à la barre de l’assemblée, et l’on faisait défiler dans son sein, sur des brancards, des hommes blessés au 10 août, et qui venaient crier vengeance contre Louis Capet. On ne désignait plus Louis XVI que par ce nom de l’ancien chef de sa race, croyant avoir remplacé son titre de roi par son nom de famille.
Les motifs de parti et les animosités populaires se réunissaient contre ce déplorable prince. Ceux qui, deux mois auparavant, auraient repoussé l’idée de lui faire subir une autre peine que
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