Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
diminuant dès la seconde moitié du XVI e siècle. Épidémie indigène à laquelle les Indiens étaient déjà accoutumés —, elle provint, semble-t-il, du contact des Européens avec les femmes et la nature américaines ; elle fut transmise par les marins aux activités sexuelles multiples et variées, et qui contaminèrent jusqu’à Ceylan.
En Amérique, le traumatisme de la conquête s’est accompagné de massacres, qu’on a pu qualifier de génocide — même s’il n’a pas été prémédité —, notamment dans les îles qui ont été, certaines, totalement dépeuplées. Or, il semble bien que le choc microbien ait bien été l’élément principal de ce « désastre démographique », au moins sur les basses terres et avant qu’interviennent les phénomènes d’accoutumance : au Mexique, par exemple, il ne restait sur les plateaux que 2 millions d’Indiens en 1650 — contre une vingtaine en 1519 ; mais ensuite la tendance s’est inversée (Benassar, 1492, un monde nouveau ? , p. 246 sq.) .
Déstructuration et formes de résistance
Un questionnaire formulé entre 1582 et 1586, et qui est le document à l’origine des Relaciones geograficas de Indias , témoigne, par ses réponses, que les Indiens ont parfaitement conscience du drame démographique qu’ils sont entrain de connaître. Parmi les causes du phénomène, ils donnent, dans l’ordre : la guerre, les épidémies, les migrations, la mortalité due aux travaux excessifs… Est-ce par peur, ou pour plaire, se demande Nathan Wachtel, il est des réponses étranges : qu’ils mangeaient moins bien autrefois, qu’ils ont plus de liberté que naguère. Et puis, jadis, ne régnait pas l’alcoolisme… Car le pulque au Mexique et le chicha dans les Andes ne se consommaient qu’à l’occasion des fêtes religieuses. Désormais, les Espagnols donnent l’exemple, et les anciens interdits disparaissent, notamment la culture de la coca « qui se développa dès qu’apparurent les Espagnols ».
Ainsi, la société indienne fut en grande partie déstructurée par la conquête. Chez les Incas, près de Cuzco par exemple, la base des groupes ethniques s’appelait l’ ayllu (semblable aux Calpulli du Mexique) qui constituait une sorte de noyau endogame unissant un certain nombre de lignées qui possédaient collectivement un ensemble de terres, le plus souvent non reliées entre elles. Plusieurs de ces noyaux formaient un ensemble, et l’État était le sommet de ces ensembles, assurant, à chaque niveau de cette structure pyramidale, la redistribution périodique des différents types de terres (à maïs, à pommes de terre, à pâturages, etc.). Chaque famille avait droit à un ensemble de terres, et les échanges de services, entre elles, étaient réglementés. Ce système constituait le fondement structurel de l’organisation, chaque ayllu ayant, par ailleurs, à assurer le service de la mita, travail obligatoire sur les terres de l’Inca et sur celles du Soleil. Les Espagnols ruinèrent cet ensemble, disposé du bas au haut de la montagne, cet « archipel vertical », en y taillant leurs encomiendas , tandis que cela suscitait des déplacements de population. Par ailleurs, l’introduction de l’économie monétaire et de nouvelles formes de tribut — autrement dit de travaux forcés dans les mines — acheva de désintégrer l’équilibre du système. Selon une enquête de Cortiz de Zuniga, en 1562, alors que, avant les Espagnols, les Chupachos devaient un tribut en textile et que l’Inca leur en fournissait la matière première, la laine, l’ encomendero exigeait des vêtements de coton, que l’Indien devait fairepousser lui-même. Ces types de tribut s’élevèrent au point que les Indiens se plaignirent dès cette époque de ne plus avoir le temps de cultiver leurs propres champs pour survivre.
Les Espagnols utilisèrent l’ancien système de pouvoirs et d’échanges à leur avantage, en se substituant à l’Inca, mais sans que fonctionne le principe de réciprocité dans l’échange, qui en était le fondement. Il s’y ajouta le tribut en argent qui ne cessa de croître ; mais, pendant près de trente ans, aux mines de Potosi, les Indiens surent imposer leurs propres modes d’extraction, dont ils avaient la recette, et que les occupants n’arrivaient pas à contrôler. Ce fut seulement en 1574, lorsque fut introduite une technique d’amalgame, que les Espagnols purent briser le contrôle
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