Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
que les Indiens exerçaient sur la production d’argent. Une nouvelle ère commençait, qui accrut leur déchéance.
Les transports d’argent, les guerres entre Pizarre et Almagro avaient accéléré le processus de décomposition sociale, beaucoup d’Indiens se trouvant ainsi placés hors des circuits de la production traditionnelle. Ces forasteros (marginaux libres), de statut supérieur puisque détachés de tout lien à la terre, mais libres, devaient poser un problème les siècles suivants, car les hacendados ne pouvaient plus mettre la main dessus. Furent également destitués de leur rang les membres de l’ancienne noblesse qui durent jouer les intermédiaires entre les Espagnols et les autres Indiens devant payer tribut.
Des révoltes suivirent, notamment en 1536, où Manco, qui avait collaboré avec les Espagnols, prit conscience « qu’ils n’étaient pas les fils de Dieu, mais plutôt du Diable ». En 1560 encore, en 1571 et surtout en 1781, où le dernier « Inca » Tupac Amaru II fut pendu à Cuzco en présence de toute la population rassemblée. Un grand film, portant son nom, en 1980, a reconstitué l’événement : exprimant la vision des vaincus, il remplit les salles d’Indiens, au Pérou.
Soumis au vainqueur, les Indiens durent, certes, produire quelques cultures qui lui étaient destinées, là où les conditions climatiques le permettaient — orangers, figuiers,etc., et blé surtout —, mais ils gardaient leur économie de subsistance par-devers eux.
La fidélité des Indiens à leurs traditions religieuses et à leur langue fut plus forte dans les Andes, où ils purent mieux s’isoler du conquérant, qu’au Mexique. Dans ce pays, ils parurent, même, montrer de l’enthousiasme pour le christianisme, au moins aux débuts de la colonisation. Mais jamais au Pérou, où la fidélité aux dieux locaux fut le corollaire de la fragmentation et de la décomposition sociales. Ainsi, ils déterraient leurs morts des cimetières institués par les conquérants, pour aller ensuite brûler les corps au loin selon leurs rites. Extérieurement, ils se conformaient aux usages chrétiens, mais conservaient les leurs en élevant, s’il le fallait, une croix sur leurs propres lieux sacrés. « Alors que les Espagnols considéraient les dieux locaux comme la manifestation du Diable, les Indiens se représentaient le christianisme comme une forme d’idolâtrie » (Nathan Wachtel). De fait, les Indiens du Pérou intégrèrent le christianisme à leur culture, mais perpétuèrent celle-ci : ils continuèrent à avoir des pratiques sociales fondées sur le principe de réciprocité ; par ailleurs, ils continuèrent à utiliser des modes de représentation de l’espace propres à leur culture, en figurant, par exemple, une carte de l’univers sous la forme de deux axes qui se croisent obliquement en un centre qui n’est pas le soleil mais le royaume de Castille.
La résistance à l’Espagnol et à sa religion prit d’autres formes au Mexique.
A U M EXIQUE
Doit-on y parler de colonisation ou d’occidentalisation de l’imaginaire ? Au Mexique, en tout cas, l’imagerie et le mode d’expression pictographique servaient de support à la mémoire orale entretenue dans les milieux nobiliaires. Serge Gruzinski a montré que les « peintures » avaient une spécificité irréductible, car elles condensaient sur le même plan les guerres, les prodiges, les dieux, le système d’impôts, le transfert des biens. A sa façon, l’image se voulait un instrument du pouvoir. Or, ce fut d’abordl’espace qui fut transfiguré par les croquis à l’espagnole, ce qui s’accompagna d’un appauvrissement chromatique. Bientôt, ce furent les « illustrations » qui se subordonnèrent à l’écriture et aux règles du récit occidental, avec sa continuité linéaire qui prit le dessus.
A l’occidentalisation de la représentation de l’espace correspond aussi une transfiguration du temps passé : sa relecture tend à donner au pueblo une légitimation chrétienne et espagnole, fondement d’une identité communautaire ; mais la répétition d’épisodes similaires reflète la survivance d’une conception cyclique du temps que corrobore la redondance des discours : s’entremêlent les périodes préhispaniques et coloniales.
Plus que toute autre pratique, l’idolâtrie a résisté à la colonisation, et ici ce serait plutôt le christianisme qui se serait indianisé :
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