Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Anthony Trollope… Si vous veniez ici voir ces hommes, qui, il y a dix ans, vivaient dans un état de totale sauvagerie, vous sauriez comment ils travaillent : ils arrivent à 6 h du matin, repartent à 6 h le soir. Prennent ici leur repas, apprennent à savoir utiliser leur salaire. Quand j’en vois, 3 000 ou 4 000, travailler ici les mines de Kimberley, j’ai le sentiment que sont en train de naître 3 000 ou 4 000 nouveaux chrétiens. » Et Trollope de souhaiter que les Kimberley se multiplient sur le continent. La construction des chemins de fer apprend aux Bantous l’usage de la pique et de la pelle ; l’utilisation du chemin de fer leur apporte la notion du temps. « Surtout, ils comprennent quel est le principe premier de la civilisation, le travail. »
Ainsi, la guerre contre les Zoulous en 1879 est identifiée à un combat pour la civilisation, car « on ne peut laisser ces peuples seuls, à part ».
Et bientôt la pénétration de Cecil Rhodes dans le Zambèze est bien l’effet de cet expansionnisme-colon, plus qu’une initiative de la métropole. Mais simultanément, au Cap comme en Natal, on sent bien qu’il existe aussi des signes qu’une sorte de volonté commune est en train de naître, tant chez les indigènes en pays zoulou qu’en Transkei, etc., de rejeter les envahisseurs blancs. « Nous trompons les Cafres, voulons qu’ils travaillent et saisissons leurs terres… », notait Trollope. Mais les Noirs en avaient conscience :
« Au départ, les Blancs sont arrivés et ont pris une partie de nos terres… puis ils se sont développés et ont poussé plus loin, avec leur bétail. Ils ont ensuite construit et, ainsi consolidés, ont monté des missions pour les soumettre par la magie… D’abord un fortin, puis la terre, puis les missions, pour les repousser toujours plus loin. » Un chef Xhosa commentait : « Le gouvernement ne me parle pascomme à un homme ; il ne me dit pas : “je vais prendre ceci ou cela”… Il me vole mes droits dans le noir… le gouvernement est un loup » (cité in D.M. Schreuder, The Scramble for Southern Africa) .
La situation des Boers était différente — et aussi leurs rapports aux Africains. Ils n’étaient pas très nombreux — un peu plus de 30 000 au Transvaal comme en Orange —, mais leur structure familiale forte, leur entraînement à la lutte en commandos les rendaient aptes à résister aux infiltrations des tribus africaines, avec lesquelles ils concluaient des accords de voisinage. Mais l’essentiel était surtout qu’étant presque exclusivement éleveurs comme les Africains ils avaient une meilleure intelligibilité des problèmes de la cohabitation ; et, de plus, qu’à la différence des Anglais du Natal ou du Cap ils savaient qu’ils n’étaient pas assez forts pour se soumettre les principales communautés africaines. La dynamique de leur expansion était liée au développement de leur élevage extensif qui nécessitait toujours plus de terres à mesure que la population et le cheptel croissaient et se multipliaient. Le président S.W. Pretorius pensait repousser les frontières vers l’ouest, en territoire Tswana, ou au nord, en territoire Ndebele ; Kruger visait plutôt le Swaziland au sud-ouest, y voyant aussi une voie d’accès vers la mer. De son côté, Joubert soutenait les intrusions boers en Zoulouland, qui incarna plus que ses rivaux cette politique expansionniste, cherchant à semer la division chez les indigènes, dont les Boers rognaient les territoires peu à peu. Mais la faiblesse de leur organisation politique les empêcha d’en faire plus, au moins jusqu’à la première annexion du Transvaal en 1877. Cela changea après la revanche de Majuba et le départ des Anglais, où l’ancien ressentiment contre la perfide Albion qui avait mis la main auparavant sur le Basutoland anima la nation boer dont l’identité ne cessa plus de s’affirmer.
Quant aux communautés politiques africaines, ce furent elles qui par leur résistance décidèrent des lieux d’implantation des colons qui s’installèrent là où ils purent. Les Xhosa du Transkei s’opposèrent pendant près d’un siècle à la poussée européenne ; et longtemps aussi les Zoulous du Natal, les Sokho des plaines centrales, les Bapedi duTransvaal, les Ndebele du Zambèze. Mais ces Africains ne surent jamais former un front commun contre les Boers ou les Anglais, et ceux-ci surent jouer des uns contre les autres, et
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