Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
aussi, car l’histoire est aussi l’analyse de ce qui n’a pas abouti…
De fait, si les mouvements de libération ont pu être portés et soutenus par une histoire longue, tant dans le monde arabe que noir ou africano-américain, ils ont pu également être coordonnés ou stimulés par des forces autres, auxquelles ils pouvaient participer, comme le Komintern ou la Tricontinentale ; ou encore bénéficier d’une action qui n’avait pas leur libération pour objet. Déjà, la victoire du Japon sur la Russie, en 1905, avait eu des effets psychologiques et politiques chez tous les peuples de couleur, et jusqu’à Madagascar…
Incomparable et décisif est bien le bilan de l’expansion japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Que celle-ci ait donné le coup de grâce aux rêves européens en Asie du Sud-Est est certain, même si les mécanismes de cause à effet ne sont pas aussi simples. Il est évident, par exemple, qu’en Indochine française les colons n’ont guère eu beaucoup d’illusions sur leur avenir pendant ces années-là — alors que d’autres colons français, en Algérie par exemple, croyaient, en 1945-1950, vivre à cent années-lumière de ce qui se passait en Asie du Sud-Est. C’est aussi vrai pour les colons anglais ou hollandais d’Afrique du Sud. On note un deuxième effet de l’occupation japonaise : alors qu’avant 1941 la domination britannique connaissait des difficultés — en Égypte, en Inde surtout depuis 1919 —, et elle seule, à la fin de la guerre ce sont les Hollandais et les Français qui ont à faire face aux épreuves les plus brutales en Asie, les Anglais ayant déjà aménagé en partie les conditions de leur retrait. Les uns et les autres perdent toutefois une partie du contrôle qu’ils exerçaient sur le marché du caoutchouc et du pétrole.
Le choc des victoires japonaises
L’humiliation subie par l’Occident lors des victoires remportées par le Japon devait fortement marquer les populations coloniales et les stimuler pour les luttes ultérieures. Aux Philippines, elles furent témoins de l’horrible Marche de la Mort (1941) que l’autorité militaire japonaise imposa aux prisonniers américains, qui moururent ainsi d’épuisement devant des spectateurs pris de pitié. Et cela se retourna contre l’occupant japonais. En Indochine, des Français furent enfermés par la Kempetai, la police japonaise, dans des cages de moins d’un mètre cube, la pire torture infligée devant des témoins impuissants. Dans ce cas aussi, les sentiments de compassion l’emportèrent chez les Vietnamiens, malgré leur rancœur contre les Français. Mais, aux Philippines comme en Indochine ou en Indonésie, la puissance coloniale n’en perdit pas moins toute son autorité, et son prestige à jamais.
En principe, de par la politique de collaboration menée par Vichy, l’administration française demeura en fonction, au moins jusqu’au 9 mars 1945, où l’autorité japonaise mit fin à cette fiction et se saisit de tous les biens français. L’Indochine, déjà occupée militairement, au moins enpartie, connut désormais le lot commun des autres possessions européennes en Asie orientale.
Deux traits caractérisent alors la politique coloniale nippone, qui agissait au nom de « cette mission sacrée », la sphère de « co-prospérité » et de libération des peuples soumis à l’Occident : d’abord, une mise au service de la guerre, autrement dit des intérêts exclusifs de l’économie japonaise ; ensuite, une politique d’intégration militaire et économique qui tournait le dos à l’espérance d’indépendance que pouvaient nourrir les peuples colonisés, notamment ces Indonésiens qui avaient accueilli les Japonais en libérateurs. A la différence des Occidentaux, les Japonais furent très attentifs à une gestion méticuleuse de toutes les possessions qu’ils occupaient. Est-ce parce que leur occupation fut plus militaire que civile ? Ils n’abandonnèrent pas à leur sort les régions dont ils n’avaient aucun profit à tirer, de sorte que cette attention leur attira des sympathies, en Indonésie notamment, au moins en 1942, mais quelquefois en Indochine aussi.
A la veille de leur défaite, la sentant venir, les Japonais avaient proclamé l’indépendance des anciennes possessions européennes — mais pas de Taiwan ni de la Corée. Ils réunirent même les représentants de toutes les nations « libérées » dans une
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