Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
l’étendard d’un autre principe de liberté, d’égalité, de fraternité… » Ces propos sont tenus à la radio de Hanoi, en 1946, en présence du général Leclerc et de Jean Sainteny. Il les reprend à la conférence de Fontaine-bleau : « Nous voulons que la collaboration entre nos deux peuples soit libre, loyale et fraternelle. Nous voulons des collaborateurs, des amis, des conseillers même ; pas des maîtres qui nous exploitent et nous oppriment comme avant. »
Or, à partir du moment où la France accorde à Bao-Dai, restauré, plus de concessions qu’au Vietminh, celui-ci juge que non seulement une partie de la gauche française n’est pas fiable — en l’occurrence les socialistes, tel Marius Moutet —, mais que, dans ce contexte, est handicapée la révolution sociale que le Vietminh veut opérer. De fait, avec le retour de Bao-Dai, les milieux coloniaux et militaires manifestent ouvertement leur hostilité à touteévolution vers une association à droits égaux avec les « Annamites ».
Lorsque, en pleine guerre, Léo Figuères, envoyé du PCF, rejoint, via Moscou, Pékin et Hankou, Hô Chi Minh tapi dans la jungle vietnamienne, celui-ci explique que la situation a changé « du tout au tout ». « Jusque-là nous avons été des assiégés, agrippés à nos escarpements montagneux, tenant obstinément à faire surgir un État d’un maquis coupé du monde extérieur… Désormais, nous avons une frontière commune avec le monde socialiste » (1949).
La victoire de Mao Tsê-tung, en Chine, avait effectivement changé « du tout au tout » la situation en Extrême-Orient.
Or, avec la guerre de Corée, qui commence bientôt, et la présence de Bao-Dai soutenu par les Américains qui veulent faire barrage au communisme, le conflit colonial interfère avec la guerre froide, modifiant les données du problème.
Côté français, le conflit colonial demeure avec ses pesanteurs : ainsi, après avoir voulu opposer Bao-Dai à Hô Chi Minh, on lui refuse les moyens d’agir. Le président Ngô Dinh Diêm s’en plaint : ni armée nationale, ni budget, ni contrôle des signes monétaires, ni administration complètement libérée. « On ne pouvait à la fois compter sur l’armée vietnamienne et lui refuser l’existence. » « Une armée nationale n’existe que si elle a un drapeau, ses propres victoires et ses propres défaites, ses chefs… Des soldats vietnamiens incorporés en fait comme unités auxiliaires de l’armée française, ne constituant point une armée vietnamienne. » Au combat, il en mourut pourtant plus de 27 000, à côté de 17 000 des États associés, 15 000 Africains et Nord-Africains, 11 000 légionnaires, et 21 000 « Français », pour un total d’environ 100 000 morts : un mode de comptage, au reste, typiquement colonial. D’ailleurs, les chefs se nomment Valluy, de Lattre, Salan, Navarre : aucun Vietnamien.
La lutte contre le communisme intervient sur le plan intérieur, et indirectement sur le plan international. En France même, le Parti communiste mène une lutte activecontre « la sale guerre » à partir de mai 1947. Il retrouve ses accents du temps de la guerre du Riff. Cette campagne est appuyée par les intellectuels qui — Jean-Paul Sartre en tête, et les catholiques de Témoignage chrétien — , participent à ses manifestations. On stigmatise la guerre cachée, la guerre « honteuse » dont « l’opinon » met du temps à apprécier l’ampleur, car le gouvernement ne fait pas appel au contingent.
C’est dans ce contexte que les gouvernements jugent que la collusion du Parti avec Hô Chi Minh est antinationale. Que la « guerre révolutionnaire », menée par le Vietminh, aboutisse peu à peu à la construction d’un État « totalitaire » n’est certainement pas une considération qui ait été seulement aperçue ou prise en charge à l’époque. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’en refusant la confiance au gouvernement Ramadier les communistes ont joué avec le feu — condamnant la politique française à Madagascar, en Indochine, et sa politique sociale, sa politique allemande, surtout. Le gouvernement Ramadier a saisi la balle au bond — comme Spaak en Belgique et De Gasperi en Italie au même moment : il a été sensible au discours de Truman, précisant que l’aide américaine supposait que les pays qui faisaient appel à elle ne comprennent plus de communistes.
La guerre
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