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Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle

Titel: Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marc Ferro
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socialistes du siècle dernier, tels Mehring ou Jaurès, qui repensaient l’histoire au travers de la lutte des classes pour faire face à l’histoire officielle.
    Mais ce sont les peuples ex-colonisés, qui, naguère, ont donné l’exemple de cette mise en cause : griots d’Afrique noire, ulémas et marabouts en pays d’Islam ont livré à l’information et à l’histoire dominantes à la fois une bataille sur les faits et sur le récit, puis une bataille sur les valeurs mettant en cause celles qui légitimaient la mainmise coloniale. Aux États-Unis, les Noirs ont commencé ce travail dès 1794… Or, aujourd’hui, toujours aux États-Unis, les Indiens font de même, comme les Catalans en Espagne, les Occitans en France, ou les ligues de femmes un peu partout.
    Pendant longtemps, la tradition orale puis le film ont été les formes les plus opératoires de la diffusion de cette contre-information. Durant les années soixante, au Maghreb comme en Amérique andine (Colombie surtout), le transistor a joué ce rôle de contre-média face à la radio dont étaient équipés seulement les gens privilégiés des villes, les colonisateurs. Aujourd’hui, en vidéo, il suffit de citer des œuvres telles que Document sur le travail forcé en URSS (Lettonie, 1976), The Black Hills Are not for Sale (Chicano US, 1974), Un jour de grève aux usines Wonder (France, 1968) pour qu’on saisisse clairement que chaque société sécrète sa propre contre-histoire face à l’uniformisation de la connaissance historique. Au cinéma, on pourrait multiplier les exemples, depuis Ceddo , qui stigmatise l’Islam dominateur au Sénégal (et détenteur du savoir et du pouvoir) jusqu’à Tupac Amaru , au Pérou, qui donne le point de vue inca sur la conquête espagnole.
    Tout se passe comme si la marche vers l’uniformisation recélait elle-même la parcellisation des visions du monde par un retour ethnocentrique dont les peuples colonisés ont été les agents avant-coureurs. En témoigne aujourd’hui l’essor du phénomène au Caucase et dans les Balkans.
    Le dernier phénomène qui marque l’ère postcoloniale est sans doute qu’avec la mise en cause du « progrès » de l’histoire, des bien-fondés de la colonisation, est atteintecorrélativement la foi qui existait au XIX e  siècle en l’Avenir de la Science…
    Plus que la science, en vérité, ce furent ses applications qui avaient fasciné l’opinion : chemin de fer, télégraphe, vaccins, etc. Ils avaient séduit l’Inde, le Japon. Or, en Europe, derrière ces inventions, on retrouvait toujours les mathématiques, de sorte que peu à peu les lois de la statistique prirent la relève de l’ Esprit des Lois . Au début du XX e  siècle, les programmes politiques prétendaient s’appuyer sur une interprétation savante du monde : socialisme « scientifique » de Marx, anarchisme « scientifique » de Kropotkine, etc. Il est significatif qu’indépendamment de leurs « opinions », de leur idéologie, Lénine, le Dr. Schacht et F.D. Roosevelt aient lu et annoté simultanément les œuvres de Keynes. Seul le Japon sécrétait un plan de développement autonome. Décidément, en Occident, au XX e  siècle, il semble qu’à la place du sabre ou du discours ce sont les chiffres et les courbes qui ordonnent. Il est vrai qu’après la Grande Guerre on jure « qu’ils ne nous y reprendront plus ».
    C’est ainsi qu’à l’Est comme à l’Ouest les technocrates prirent le pouvoir, tous savants et politiques qui, avec l’ère stalinienne, prétendirent même renouer l’antique alliance des sciences sociales avec les sciences de la nature (en 1949). Le Savoir du Parti était l’expression de tous les savoirs et, en URSS, il commanda bientôt à l’économie et à la politique, certes, mais également à l’art, à la linguistique. Et ce savoir passa même de la compétence sur le corps social à la compétence sur le corps humain, puisqu’il pouvait décider qui était sain d’esprit et qui ne l’était pas. En Allemagne, durant les années trente, le pouvoir nazi pouvait décider également, au nom de la science génétique, qui devait vivre et qui ne le devait pas. Ces « soldats biologiques », ces « médecins-psychiatres », responsables des drames que l’on sait, devaient contribuer au discrédit de tous ces régimes de l’Absolu dont les certitudes sont sans faille et s’appuient toujours sur les savants. La culture des peuples

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