Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
Gauguin ont été avec Matisse et Apollinaire les grands découvreurs de la sculpture africaine, autour de 1905. Carl Einstein publia les premiers textes sur leur esthétique qui a tant influencé l’art moderne. La légitimation « officielle » eut lieu en 1912, dans un article de Gil Blas sur l’« art » nègre, dont Jean Cocteau pouvait écrire, en 1917, « qu’il ne s’apparente pas aux éclairs décevants de l’enfance, de la folie, mais aux styles les plus nobles de la civilisation humaine ».
Le point important est que désormais la rupture est plus grave qu’à l’époque du Salammbô de Flaubert ou de l’orientalisme à la Loti ou à la Delacroix : on remet en cause une civilisation plus qu’on ne cherche à distraire des esprits blasés. La révolution va plus loin encore lorsque, avec la peinture issue de la tradition vaudoue, l’esthétique se fonde moins sur les formes que sur les symboles, et, dans les tableaux, l’organisation de l’espace correspond à des logiques magiques, par exemple chez Hervé Telemaque ou Hector Hyppolite.
La reconnaissance de cet art le faisait participer à cette unification culturelle, protégée ici de toute dérive uniformisatrice. Il en a été de même, ultérieurement, du cinéma africain qui, certes, s’est mis à l’école technique de l’Occident (comme le cinéma indien), mais a sauvegardé son identité esthétique.
Autre phénomène. Les luttes de libération, la conquête de l’indépendance n’ont en rien mis fin aux différents processus d’unification mis en place depuis le XVI e siècle. On l’a dit dans le domaine économique, et l’uniformisation atteint également la nature des régimes politiques. Mais l’annulation au moins partielle des résultats attendus de ces luttes — ces États se gouvernent, certes, mais ils ne maîtrisent plus les fonctionnements de la société et de la production — est accentuée par un autre phénomène qui suscite des réactions, l’uniformisation de l’information et des médias.
Il est bien connu en Occident parce qu’il occupe le devant de la scène. Qu’il s’agisse de la presse écrite, avec Springer, Hersant, Murdoch, etc., ou de la télévision, la marche vers l’unification semble bien en route. Le point important est que l’information télévisée s’uniformise indépendamment de l’action de ceux qui contrôlent les médias, par l’effet même des satellites, qui se surajoute à celui de la concentration. Cela aboutit à une standardisation qui est déjà bien en marche. Ainsi peut-on observer que sur cent « sujets » filmés, distribués aux différentes chaînes (BBC, TF1, RAI, CBS, etc.), le nombre des images communes ne cesse de croître de façon caractéristique depuis une dizaine d’années alors que diminue la capacité de chaque chaîne de produire des images/ informations autonomes, sauf sur les affaires locales et les faits divers. Qu’on ouvre sa télévision à Londres, au Caire ou à Lima, pour l’essentiel, on voit les mêmes images. On peut ainsi parler de standardisation. On imagine la protestation des non-producteurs, dans le Tiers-Monde, c’est-à-dire les ex-pays colonisés pour la plupart, de tous ceux qui n’ont pas le droit à l’image, à la parole.
Or, radios locales et films vidéo n’ont pas les moyens de diffuser une véritable contre-information.
Pourtant, une contre-analyse existe, et elle se fait, mais à d’autres niveaux. C’est sans doute un des paradoxes de notre temps qu’elle soit d’autant plus vivante que la standardisation est plus poussée.
Le phénomène se vérifie dans un domaine particulier, l’analyse historique, central, parce qu’il commande l’interprétation de notre temps et sauvegarde l’identité des nations, des ethnies.
Il est clair qu’en URSS, par exemple, où l’Histoire a été longtemps au service du pouvoir, puisque le Parti était censé incarner son sens et son mouvement, ce sont successivement les opposants et les dissidents qui ont construit une contre-analyse de l’histoire de l’URSS, mais en quelque sorte en contrebande . Cette contre-histoire a eu peu d’audience dans le pays même parce qu’elle ne s’appuyait sur aucune institution qui eût pu en assurer la sauvegarde. Voilà pourquoi, en Pologne, un des premiers projets de Solidarnocz , quand l’institution a pensé qu’ellesurvivrait, a été de récrire l’histoire, une démarche qui rappelait celle des
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