Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
paresseux eux-mêmes que les Kazakhs… » (Y. Levada). Mais ils pensaient comme les autres auparavant.
Successivement, les Espagnols, les Hollandais, les Anglais, etc., ont défini ces traits, nécessairement négatifset portant sur les Philippins, les Javanais, les Hindous — avant que les Français ou d’autres ne prennent la relève, s’agissant des Noirs ou des Arabes, « ces fieffés paresseux »…
Le premier, le frère Gaspar de San Augustin, dans une lettre à un de ses amis, en 1720, décrit les trente traits négatifs des Philippins. « On ne peut se fier à eux, car ils sont paresseux et toujours prêts à se promener… ingrats, ne remboursant pas l’argent qu’on leur prête…, leur paresse est telle qu’ils ne ferment jamais les portes qu’ils ouvrent, laissent les outils au pied de leur travail sans les remettre à leur place ; dépensent une avance de leur paye puis ne reviennent plus ; entrent au couvent sans prévenir, furetant partout pour piquer tout ce qu’ils trouvent, cassent les chaises avec leur manière de s’asseoir, ne cessent de dormir entre deux tâches… »
Un siècle plus tard, le gouverneur général des Indes néerlandaises, J. Siberg, établit une théorie de la paresse indigène pour se dresser contre les réformes libérales de Hogendorp qui proposait de mettre fin au travail forcé, au salaire en nature, etc. « Il ne le faut pas pour cinq raisons, explique Siberg : 1) Les Javanais sont trop paresseux pour travailler plus qu’il ne leur faut de terres pour survivre. 2) Au moins le travail forcé les contraint à en faire plus. 3) Libéraliserait-on l’économie dans un système capitaliste qu’ils abandonneraient leur travail tant qu’ils auraient de l’argent et ne le reprendraient qu’après. 4) Ce sont les Chinois ou les Européens qui l’achèteront à bas prix. 5) Si on adopte les réformes de Hogendorp, comment obliger les notables javanais à les accepter ? » (1802).
Cet argumentaire modèle se retrouve un peu partout…
Que cette « paresse » soit une forme de résistance à la colonisation, ou qu’elle soit simplement sociale, elle prend des formes variées et peut changer de nature quand se modifient les conditions générales… Or, aujourd’hui, où, au sens étroit du terme, la colonisation a pris fin, l’unification et l’uniformisation des mentalités aboutissent à l’expression d’une vision standardisée de la « morale ». Les médias des pays ex-colonisés l’ont adoptée comme les autres.
Ainsi, en 1971, le principal parti politique malais publia un ouvrage collectif, Revoluci mental , la révolution mentale, qui était l’œuvre de quatorze auteurs, dont les travaux avaient été coordonnés par un ancien ministre de l’Information : il décrivait la société de ce pays en énumérant les caractéristiques de la population, pervertie par la colonisation, les Malais étaient irresponsables, paresseux, fatalistes, défaitistes, guidés par la passion plus que par la raison ; ils n’étaient pas persévérants, ne tenaient pas leurs promesses, souhaitaient la richesse mais ne faisant rien pour l’atteindre : bref, le tableau était encore plus négatif que celui dressé par le colonisateur. Et l’ouvrage montrait par contraste les qualités « des Japonais, des Américains, des Allemands, des Juifs et des Chinois ». Il reprenait le diagnostic du gouverneur Clifford qui jugeait qu’en Malaisie les richesses ne sont pas produites par les Malais ; mais Revolusi mental montrait que, sans la participation des Malais, aucun développement n’aurait été ainsi possible.
Bref, le modèle auquel se référait l’ouvrage, dans l’implicite, n’était pas celui du Droit à la paresse (1880), de Paul Lafargue, Noir, Caraïbe et Juif, mais celui de Rockefeller ou des millionnaires chinois, et il reportait sur les conditions historiques, seules, la responsabilité de cette « infériorité » des Malais.
Certes.
Cela signifierait que l’uniformisation mentale du monde, sous le signe de l’argent-roi, déborde presque tous les cadres de cette histoire, la télescope, par-delà la colonisation et sa « fin ».
La colonisation a pris fin, mais le « colonialisme » ?
Dans les métropoles, son esprit raciste a survécu avec le flux d’immigrants qui a suivi les indépendances. Mais on observe qu’en France par exemple, les descendants de ceux qui sont venus d’Algérie — les Beurs —
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