Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
qui se tait, feint de ne pas le voir. Mais ensuite ?
Les refuges extérieurs sont rares, inexistants dans les petites îles, mais bien vite des réseaux fonctionnent qui indiquent Dominique et Saint-Vincent comme terres de liberté : le tout est d’y parvenir. On essaie aussi d’aller chez l’Espagnol, car, dans ces possessions-là, l’indolence administrative permet d’espérer de se voir concéder ou vendre la liberté. Car malgré une série d’accords, notamment à Saint-Domingue, le risque d’extradition est plus théorique que réel. Ou bien on essaie de joindre Surinam en Guyane. En Guyane, on sait qu’on peut aller dans l’intérieur des terres, où se constituent de fortes colonies de marrons.
Une guerre larvée oppose la société esclavagiste à sa main-d’œuvre… Le marron est toujours un ennemi qui « a volé le maître de sa valeur » et ébranle l’ordre établi. Sa désertion doit être punie, et le maître entend le récupérer à l’atelier — il l’a payé au marché de la traite. Mais il faut quelquefois amnistier, avec promesse d’émancipation pour plus tard ; voire carrément négocier, comme les Anglais le font quelquefois à la Jamaïque. Or, autorité publique et autorité domestique se disputent la réalité du pouvoir et n’ont pas les mêmes objectifs. Un règlement de police guyanais, en 1750, fait valoir que « les maîtres n’ont regardé les manquements de leurs esclaves que commepersonnels à eux-mêmes, comme si la liberté, qu’ils ont d’en posséder, ne leur était point accordée aux conditions expresses de veiller à leur conduite vis-à-vis du public ». De sorte qu’avec le marronage le Code Noir réédité au bénéfice des notables, apparaît à la fin du XVIII e siècle comme inadapté à la situation. Et des planteurs adoptent une autre méthode : « Lorsque je suis parvenu à force de soins, et par quelques punitions, à rendre un de mes nègres propriétaire d’un pécule, alors je suis maître de lui. L’orgueil, l’amour-propre le dominent, il devient plus soigneux, rarement fautif… La peine la plus forte est la privation du temps de se rendre à la ville. Elle est très efficace. » Des jardins sont aussi concédés aux esclaves — mais la possibilité d’y travailler leur est chichement comptée. De cette façon, le propriétaire y gagne, car cela lui coûte moins que de nourrir ces maisonnées.
R ÉVOLTE DES « MARRONS »
En Amérique, les révoltes de Noirs ont été extrêmement nombreuses — mais, pour n’avoir pas abouti, sauf la dernière à Haïti, elles n’ont pas eu leur droit d’entrée dans l’Histoire. Pourtant, dès le XVI e siècle, on en comptabilise 3 à Saint-Domingue et 10, au moins, entre 1649 et 1759, dans les différentes Antilles anglaises ; 6, au XVII e siècle et une cinquantaine au XVIII e siècle dans le sud des futurs États-Unis. Dans les Antilles françaises, le nord du Brésil et Porto Rico, elles se multiplient après l’indépendance de Haïti.
Certes, ces révoltes n’ont pas abouti ; pourtant, celles des marrons de Guyane ont donné naissance à des « Républiques de marrons » qui, si elles n’ont pas survécu, ont bien existé, en Colombie, mais surtout en Guyane. La plus durable a été celle des Boni, de Guyane, révoltés contre les Hollandais, que les Français ont encouragés. Plus exactement, lorsque, en 1712, les marins français pénétrèrent en Surinam, les grands propriétaires s’enfuirent, et les esclaves en profitèrent pour s’échapper dans la forêt après avoir pillé les maisons de leurs maîtres. En 1749, leur chef, Adoc, obtint l’indépendance, tandis qu’un autre chef noir,Arabi, probablement musulman, se vit reconnaître la liberté de fonder lui aussi une République à condition de ne plus accepter de marrons. Une troisième République marron fut également fondée en 1762, avec un conseiller hollandais aux côtés du chef noir. Mais, les Boni ayant voulu chasser les Blancs de la région, une partie des Noirs s’allia avec les Hollandais par peur de leur hégémonie. Les Boni durent, à leur tour, signer un accord avec la France et se maintenir dans le Haut-Maroni. Depuis, y survivent ces Bosh, ou Bush-negroes, ou hommes noirs de la forêt, dont la civilisation est un synchrétisme Fanti-Ashanti d’origine africaine, pour la religion surtout, mêlé de pratiques alimentaires indiennes, et dont la langue est un mélange de
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