Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
dégrader.
En Afrique, chez les Congos, Yorubas, Ibos et Angolas — qui constituent l’essentiel du monde des captifs transportés aux Antilles —, les hommes et les femmes jouissaient d’une liberté sexuelle plus grande que dans le monde chrétien ou en pays d’Islam. Dans le mariage, les droits et obligations des hommes et femmes sont strictement définis ; les femmes demeurent ensuite dépendantes, mais, en pays Bambara, elles se mêlent à la conversation des hommes, même si les uns et les autres ne mangent pas ensemble (comme en pays Basque), les femmes servant leur mari et mangeant après, debout. Globalement les voyageurs des XVII e et XVIII e siècles sont frappés par l’esprit et le comportement indépendants de la femme africaine, même si une partie des travaux des champs leur paraissent réservés en plus des tâches de cuisine dont elles ont souvent le monopole. La polygynie régnante crée une solidarité des femmes qui n’existe pas dans le monde occidental. Cela n’empêche pas un respect de la femme envers chacun de ses maris, un trait qui, au XVIII e siècle, avait frappé le père Labat.
Aux Amériques, et notamment aux Caraïbes, le problème est de savoir si les maîtres cherchaient à accroître leur capital humain grâce à la traite, ou bien en favorisant les naissances sur les plantations ; en 1933, dans Maîtres et Esclaves , Gilberto Freyre a écrit qu’au Brésil l’intérêt économique pousse les maîtres et leurs fils à se transformer en étalons pour accroître leur capital. Mais pour l’essentiel, sauf pendant de courtes périodes, ce furent l’échange économique et l’achat qui prévalurent. Et l’homme y vaut plus cher que la femme — à moins que celle-ci ne soit un objet sexuel.
La dégradation de la condition des femmes esclaves vient de ce que, dans les sucreries par exemple, elles sont écartées des travaux spécialisés. Au départ, il n’y a pas de différence de statut entre l’homme au fourneau et la femme au moulin, entre l’homme qui creuse les fosses à planter et les femmes qui y déposent des grains. Plus nombreux à être qualifiés, les hommes le sont par leurs capacités, alors que chez les femmes seule la valeur sexuelle est déterminante, et elle décline avec l’âge ou la maternité. En outre, on laisse aux femmes l’usage des outils traditionnels, tels la houe, le fil, l’aiguille, alors que les hommes ayant appris à construire des maisons, des tonneaux, des ferrements pour esclaves, etc., monopolisent bientôt la connaissance des techniques… Arlette Gautier a bien montré que cette division des compétences et du travail a maintenu et aggravé la subordination des femmes, de sorte que l’esclavage, loin de niveler le sort des hommes et des femmes, a abouti au contraire à un abaissement supplémentaire de la femme dans la maisonnée blanche, et bientôt dans la famille noire, car elle ne bénéficiait plus, dans une société noire éclatée ou en miettes, des sauvegardes et privilèges dont naguère la femme noire était assurée, en Afrique.
N OIRS ET I NDIENS
Dans les colonies espagnoles avait été institué le double système de l’ encomienda et du repartimiento . Par le premier, les conquérants recevaient un certain nombre d’indigènes qui leur payaient un tribut ; par le second, la terre était divisée en un certain nombre de bénéficiaires. Audépart, l’essentiel était le tribut ; bientôt ce fut le travail qui compta le plus, il fallait du monde pour exploiter les mines, construire les routes… Les guerres et autres massacres, la maladie détruisirent tout ou partie des populations caraïbe, indienne, arawak… Or, les esclaves qui arrivaient présentaient de nombreux avantages pour les colons : ils savaient pratiquer l’élevage du bœuf, monter à cheval, etc., de sorte que les premiers cow-boys d’Hispaniola (Saint-Domingue, Haïti) étaient des Ouolofs et des Mandingues. D’autre part, sur le continent, les esclaves de la Gold Coast et d’Angola avaient souvent une compétence artisanale qui les valorisait par rapport aux Indiens qui, finalement, demeurèrent plus marginaux que les Africains au sein de l’économie proprement coloniale. Dès la fin du XVI e siècle, dans les plantations à sucre de Bahia comme dans les mines de Nouvelle-Grenade, la grande majorité des travailleurs étaient noirs, les Indiens Chibchans ayant lentement disparu. Le gouvernement portugais
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