Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
autre raison, non dite, était qu’à Londres on avait été frappé que la révolte de Haïti, pendant la Révolution française, ait été le fait de mulâtres — il fallait en tenir compte.
Après ce coup d’arrêt, la frustration des Anglais se manifesta, notamment à l’endroit des femmes birmanes… qui étaient, disait-on, à la fois douées de tous les attraits et de toutes les vertus. Les clergymen ne surent comment réagir, car l’Église stigmatisait les relations hors mariage, et celles-ci se développèrent désormais impunément. A l’époque victorienne, Lord Curzon intervint en déplaçant les limites de l’interdit : ceux qui épouseraient des femmes indigènes devaient savoir que leur carrière en serait contrariée ; il en irait de même de ceux qui avaient des maîtresses, qu’il serait bon de ne plus exhiber en toutes circonstances. Autrement, le contrevenant serait muté… Effet pervers : bien des militaires et des civils, des régions périphériques notamment, arborèrent désormais une maîtresse indienne : ils espéraient ainsi être déplacés dans une région plus centrale, Bombay ou Delhi de préférence… « Il ne faudrait pourtant pas qu’un tel règlement empêche un bon fonctionnaire d’épouser sa maîtresse… », commentait un contemporain.
Un vrai problème était posé.
On constate qu’avec le temps diminua le nombre desAnglais à vivre avec des Indiennes. Et on ne sait pas grand-chose — sauf par des romans ou des films — de ces rares hommes indiens qui vécurent avec une Anglaise.
Ces Eurasiens sont 111 637 au recensement de 1951, dont H.A. Stark, eurasien lui-même, écrivait dans Hostages to India , en 1926 : « Si l’Angleterre est la terre de nos pères, l’Inde est celle de nos mères. L’Angleterre est un souvenir sacré, l’Inde une vérité vivante… L’Angleterre, ce sont nos traditions, l’Inde, notre vie de tous les jours. » Une analyse, faite à partir de la Anglo-Indian Review (tirage, 3 000), et prolongée par une enquête sur les années 1926-1959, donne une idée de ce que fut la situation d’une communauté, officiellement reconnue et qui eut droit à deux représentants au Parlement. D’abord appelés sang-mêlé (half-breed) , puis Chichi, East-Indian, Indo-European, Eurasian, Indo-Britons — le terme « anglo-indien » l’emporta finalement — ils demeurent marqués par le mépris des Britanniques et par celui des Indiens, et ce trait rend compte de l’infériorité dans laquelle les Anglo-Indiens sont tenus : l’Anglais écoute plutôt les avis d’un pur Indien que ceux d’un sang-mêlé. Cette situation pèse sur une communauté qui ressentit très vite la nécessité de se doter d’un statut légal… Elle s’occidentalisa par le vêtement, par une partie des repas, le breakfast notamment, par l’éducation surtout, l’émancipation associée à la modernité amenant les Anglo-Indiens à entrer, jeunes, dans l’administration, les postes, ou surtout les chemins de fer où ils occupèrent la plupart des fonctions. De sorte qu’assez peu d’entre eux firent des études supérieures, ce qui leur eût peut-être permis d’accéder aux plus hautes responsabilités.
L’époque des grandes luttes politiques, au lendemain de la Première Guerre mondiale, place les Anglo-Indiens dans une situation en porte à faux… Ayant adopté peu à peu des mœurs britanniques, ils craignent qu’avec l’indépendance l’indianisation ne mette en danger leur situation, et que la baisse générale du niveau de vie ne les concerne, eux les premiers, qui travaillent dans un monde contrôlé par les Anglais. Peu pratiquants pour la plupart, ils craignent le retour à l’intolérance religieuse, que celle-ci émane des hindous ou des musulmans ; enfin et surtout, ils craignentque ne ressuscitent les tabous et obligations liés au système des castes dont ils avaient pu s’évader…
Le sort des Anglo-Indiens était un peu le révélateur d’un changement dans la nature de la présence anglaise aux Indes.
Au XVIII e siècle, ces Anglais avaient été surtout des marchands, ils étaient peu nombreux, et les soldats en nombre infime. Cela changea avec les conflits franco-anglais, dès 1746. Ainsi, à Fort-Saint-David de Madras, il y avait 200 soldats à cette date ; ils étaient 589 en 1748, 1758 en 1759, au moment du siège, et 2 590 en 1769. Les civils n’étaient que 253 à l’époque. A ces militaires
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