Histoire du Consulat et de l'Empire
guerre, d'épauler l'armée régulière. L'idée d'associer plus étroitement la population à la défense du territoire est au cœur de cette réforme. Elle explique aussi l'effort consenti par Guillaume de Humboldt en faveur de l'enseignement. Le fleuron de sa réforme fut la création de l'université de Berlin, dont la direction fut confiée à Fichte, l'un des principaux théoriciens du réveil national allemand. Ainsi, une conscience nationale se forge en Prusse, pendant ces années de repli. Ces efforts porteront leurs fruits lors de la campagne de 1813.
Mais, pour l'heure, privée d'autres ressources, la Prusse accepte les conditions que lui proposait Napoléon depuis plusieurs semaines. Le 24 février 1812, son ambassadeur à Paris signe un 361
L'ÉCHEC DU SURSAUT DYNASTIQUE (1810-1815)
accord que l'Empereur souhaiterait garder secret ; le roi de Prusse le ratifie le 3 mars. La Prusse s'engage à laisser passer la Grande Armée sur son sol et à fournir vingt mille hommes à Napoléon, soit à peu près la moitié des effectifs de l'armée prussienne, fixés à quarante-deux mille soldats au moment de Tilsit. Sans attendre la ratification royale, le 2 mars, une division française, commandée par le général Gudin, passe la frontière prussienne. La France en profite aussi pour consolider son alliance avec l'Autriche. Cette dernière accepte de fournir un contingent de trente mille hommes et espère profiter de la guerre contre la Russie pour pousser son implantation dans les Balkans où Napoléon lui promet les provinces roumaines.
Elle récupérerait également l'Illyrie, en échange de la Galicie promise à la Prusse. Ce partage des dépouilles rappelle fort les mœurs d'Ancien Régime.
Napoléon perd en revanche le soutien suédois, si tant est qu'il ait espéré le gagner. En effet, malgré la présence de Bernadotte à la tête du pays, les sentiments de l'aristocratie suédoise étaient hostiles à la France. Le traité signé en 1810, aux termes duquel la Suède avait recouvré la Poméranie, n'avait été qu'une alliance de circonstance et la désignation du maréchal Bernadotte comme prince héritier ne dut rien à l'influence napoléonienne. Sans rompre avec la France, il s'empressa du reste de rassurer la Russie sur ses intentions. Par ailleurs, la Suède appliquait toujours avec peu de rigueur le Blocus continental, ce qui provoqua l'ire de Napoléon, relayé à Stockholm par l'ambassadeur français, Alquier. L'occupation par la France de la Poméranie suédoise, en 181 1 , achève de rompre les ponts entre les deux États. La Suède va rejoindre le camp russe. Le tsar peut aussi compter sur la neutralité des Turcs. Le long conflit qui l'opposait à l'Empire ottoman s'est en effet achevé, au début de 1812, après que Koutouzov a remporté une victoire suffisamment décisive pour convaincre les Turcs de négocier. Étant donné l'urgence, le tsar se montre moins exigeant que prévu, à la grande satisfaction de la Porte. La Russie voit ainsi se refermer un front qui aurait pu l'embarrasser. Elle peut enfin compter sur le soutien de l'Angleterre, même si les deux pays continuent d'entretenir une rivalité en Orient.
À la veille de l'entrée en Russie de la Grande Armée, le tsar Alexandre Jer règne depuis onze ans. Il est encore jeune ; il n'a que trente-cinq ans, huit de moins que Napoléon. Il a aussi acquis une certaine expérience des campagnes militaires. Les échecs successifs de 1805 et 1807 ont mûri son caractère. L'empereur fougueux qui avait
ses troupes en Autriche en 1805 a laissé la place à un chef
plus mesuré qui a refusé de porter le conflit
en Prusse et en Pologne, et a choisi une solution défensive, quitte à sacrifier une partie de son territoire. Alexandre entend opposer à la vélocité des armées françaises la lenteur de l'hiver russe. Il sait pouvoir compter sur le soutien d'un peuple dévoué au tsar comme à un 362
UN POUVOIR ÉBRANLÉ
père. La paysannerie russe, attachée à la terre par les liens du servage, garde foi en son chef, véritable dieu vivant aux yeux de ses sujets. Le charisme d'Alexandre est d'autant plus fort qu'il a su jouer de son image de tsar ouvert à la modernité. Souverain éclairé, il s'est entouré d'une équipe de collaborateurs désireux d'engager des réformes dans le fonctionnement de l'État. Un nom reste associé à cet effort, celui de Michel Speransky, qui incarne la phase libérale du règne
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