Histoire du Consulat et de l'Empire
parole contre le texte, pour dénoncer son caractère inconstitutionnel et le retour à l'arbitraire qu'il symbolisait. Constant insista par exemple sur le risque de ne pas respecter la Constitution, fût-elle imparfaite, car ce serait ouvrir la porte à d'autres violations : « Si l'on se permet de violer un point de la Constitution sous prétexte de la tranquillité publique, je ne vois pas de raison pour laquelle, sous le même prétexte, l'on n'en violerait pas un autre, s'exc1ame-t-il, avant de formuler cette sentence : " Ne dévions jamais des principes. En suivant l'acte constitutionnel, nous ne sommes pas responsables des inconvénients qui peuvent y être attachés ; mais nous répondons des attributions et des mesures arbitraires que la Constitution n'avoue pas 5 .
"
» Comme les
libéraux de la Restauration, attachés à la défense de la Charte, ceux du Consulat défendent la Constitution qu'ils ont contribué à mettre en œuvre. Elle leur paraît le meilleur rempart légal face à la montée de la dictature.
Malgré la forte mobilisation de l'opposition, le projet sur les tribunaux spéciaux obtient la majorité des voix au Tribunat. Les 112
LE RENFORCEMENT DU POUVOIR PERSONNEL
pressions exercées par le pouvoir sur les hésitants, l'émoi suscité par l'attentat contre Bonaparte et la répression qui s'ensuivit ont sans nul doute contribué à ce résultat. L'opposition n'en espère pas moins un sursaut du Corps législatif, même si le projet y est présenté, conformément à la règle, par trois tribuns favorables à son adoption. Un noyau d'opposants vote contre, mais le projet est adopté avec plus de cent voix de majorité. Cette victoire parlementaire ne calme pourtant pas les craintes de Bonaparte, de plus en plus irrité par la persistance d'une forte opposition dans les assemblées, et notamment au Tribunat, ainsi qu'il l'exprime devant le Conseil d'État : « Ils sont douze ou quinze métaphysiciens bons à jeter à l'eau. C'est une vermine que j'ai sur mes habits. Il ne faut pas croire que je me laisserai attaquer comme Louis XVI. » Ce propos peu amène confirme le faible crédit que Bonaparte accorde aux droits des assemblées, accusées en l'espèce d'avoir provoqué la chute de la royauté. Il confirme par là même son souhait de gouverner seul.
L'opposition parlementaire ne doit toutefois pas être majorée.
Avec le projet de loi sur les archives nationales, deux autres réformes seulement furent repoussées par le Tribunat au cours de la session de l'an IX, l'une portant sur la dette et les domaines nationaux, l'autre sur le tribunal de cassation. Pour le reste, huit projets sur une soixantaine présentée aux tribuns recueillirent plus d'un tiers d'opposants. Le Corps législatif suivit, dans l'ensemble, les indications fournies par le Tribunat, puisque, sur soixante-cinq projets de lois qui lui furent soumis, il en vota soixante et un, en repoussa deux, les projets sur les archives nationales et sur le tribunal de cassation, tandis que deux autres textes étaient retirés. Autrement dit, les cinq sixièmes des réformes proposées par le gouvernement ne rencontrèrent aucune hostilité ou presque et furent adoptées rapidement. C'est le signe que les adversaires de Bonaparte n'ont pas choisi d'user le gouvernement par une opposition systématique, réservant leurs flèches aux projets qui posaient des questions de principes et mettaient en cause les droits hérités de la Révolution française, notamment en matière de justice. L'opposition parlementaire entend donc être le défenseur des droits issus de 1789 en même temps que le gardien de la Constitution de l'an VIII.
Cette opposition est finalement stérile et sans grands moyens.
Elle ne dispose pas de véritables relais dans le pays, se refusant même à faire publier les quelques discours de ses orateurs hostiles au régime. En outre, elle ne peut que critiquer ou repousser des projets de loi, mais rien n'empêche le gouvernement de les retirer avant le vote final, ce qu'il fait parfois, ou de proposer à nouveau, avec quelques amendements, un projet repoussé. De surcroît, la session parlementaire est courte, environ quatre mois, ce qui laisse les mains libres au Premier consul le reste du temps. De son côté, Bonaparte jouit d'un contexte favorable. La victoire de Moreau à 113
LA RÉPUBLIQUE CONSULAIRE (1799-1804)
Hohenlinden face aux Autrichiens, le 3 décembre 1800, aurait pu lui faire craindre
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