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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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vertueux voulaient nous
mener : ils refusèrent ! et l’homme incorruptible,
indigné contre ceux qui se permettaient de lui résister, résolut de
s’en débarrasser. Tout ce que j’ai lu depuis me porte à croire ce
que je vous dis. Robespierre était un dénonciateur ; avec ses
dénonciations il avait épouvanté le monde ; il voulut dénoncer
les membres du Comité eux-mêmes, et les envoyer rejoindre
Danton.
    En ce temps, vers la fin de juillet, les chefs
de notre club, qui recevaient les ordres des Jacobins, Élof Collin
en tête, se rendirent à Paris pour la fête de thermidor, et les
gens eurent peur ; on pensa qu’il se préparait un grand coup.
C’étaient tous des robespierristes, principalement Élof ;
depuis leur départ on n’osait plus se parler.
    Cela dura huit ou dix jours ; et voilà
qu’un beau matin des courriers apportèrent la nouvelle que
Robespierre, Couthon, Saint-Just, avec tous leurs amis, avaient été
ramassés d’un coup de filet et guillotinés du jour au lendemain. Ce
fut quelque chose de terrible en ville ; les femmes, les
enfants de nos patriotes crurent que leur père, leurs frères, leur
mari se trouvaient dans le nombre. Qu’on se représente la position
de ces gens, qui n’osaient crier ni se désoler, car Saint-Just
lui-même avait fait décréter que ceux qui plaignaient les coupables
étaient suspects, et que s’ils recevaient chez eux, quand ce serait
leur propre mère, ils méritaient la mort ; qu’on s’imagine un
serrement de cœur pareil.
    Nous en frémissions tous lorsque, le
1 er août au soir, étant seul avec Marguerite dans notre
petite chambre donnant sur la place de la Halle, au moment de nous
coucher, nous entendîmes deux coups au volet. Je pensais qu’un
citoyen avait oublié quelque chose, de l’huile, une chandelle,
n’importe quoi ; j’ouvris donc : Élof Collin était
là !
    – C’est moi, dit-il, ouvre.
    Aussitôt je sortis ouvrir la porte de l’allée,
tout inquiet ; ce n’était pas une petite affaire de recevoir
alors des robespierristes qui revenaient de Paris, mais pour un
vieux camarade de Chauvel j’aurais risqué ma tête.
    Collin entra ; je poussai le verrou de
l’allée et je le suivis. Dans notre chambre, la chandelle sur la
table, Élof un instant regarda de tous côtés, en écoutant. Je le
vois encore, avec son grand chapeau à cornes, son habit de drap
gris bleu ; sa grosse perruque nouée sur le dos, les joues
tirées et son gros nez camard tout blanc.
    – Vous êtes seuls ? dit-il en
s’asseyant.
    Je m’assis en face de lui sans répondre.
Marguerite resta debout.
    – Tout est perdu ! fit-il au bout
d’une minute, les fricoteurs, les voleurs, les filous ont le
dessus, la république est à bas. C’est un grand hasard que nous en
soyons réchappés.
    Il jeta son chapeau sur la table, continuant
de nous regarder, pour savoir ce que nous pensions.
    – Quel malheur ! dit Marguerite,
depuis votre départ nous étions tous en méfiance.
    Et lui, baissant encore la voix dans ce grand
silence de la nuit, nous raconta que les principaux jacobins de la
province, les chefs de clubs avaient reçu l’avis d’être à Paris
pour la fête de thermidor, parce qu’il se préparait une épuration
générale. Mais qu’en arrivant là-bas, sauf les jacobins, qui
restaient toujours fermes dans leurs bonnes idées, ils avaient
trouvé tout gangrené : la Convention et les Comités ;
qu’alors Robespierre avait risqué son rapport contre les Comités,
et que la Convention, bien à contre-cœur, par habitude et par
crainte, avait voté l’impression du rapport ; mais que les
fricoteurs, qui se sentaient menacés, avaient fait retirer le
décret d’impression et renvoyer le rapport à l’examen des Comités
eux-mêmes ; chose abominable, puisque c’étaient des Comités de
salut public et de sûreté générale que Robespierre venait de
dénoncer et qu’il voulait purifier : ces gens ne pouvaient se
juger eux-mêmes ! Qu’ensuite Robespierre avait lu son rapport
le même soir au club des Jacobins, et que tous les patriotes
s’étaient déclarés pour lui ; qu’on pensait même à soulever
les sections contre la Convention ; que Payan,
Fleuriot-Lescot, le maire de Paris, Henriot, le commandant de la
garde nationale, enfin tous les bons sans-culottes ne demandaient
qu’à mettre la main sur les Comités, dans la nuit, et bousculer
tout de suite la faction des corrompus.
    Mais que Robespierre,

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