Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
trop vertueux,
s’opposait à l’insurrection contre la Convention,
qui pouvait
vous mettre hors la loi ;
qu’il aimait mieux renverser la
Montagne et les Comités, en appelant la droite et le centre de
l’assemblée à son secours, les hommes vertueux du centre, qu’on
appelait autrefois les crapauds du marais ; que ces êtres sans
caractère, ne sachant pas lesquels d’entre eux étaient sur la liste
d’épuration, et qui se sentaient tous véreux plus ou moins,
s’étaient laissé gagner par les fricoteurs dans cette même nuit, de
sorte que le lendemain dimanche, 9 thermidor, Saint-Just ayant
voulu parler à l’ouverture de la Convention, Tallien, le plus grand
scélérat de l’ancienne Montagne, avait coupé la parole à cet homme
vertueux ; que les autres s’en étaient mêlés, et que
Robespierre lui-même n’avait pu dire un mot, parce que tous les
membres de l’Assemblée, à gauche, à droite, en haut, en bas,
ensemble et l’un après l’autre le forçaient de se taire, en
l’appelant Cromwell, tyran, despote, triumvir, et finalement en le
décrétant d’accusation, lui Robespierre, Auguste-Bon-Joseph son
frère, Couthon, Saint-Just, Lebas, en les faisant empoigner et
conduire dans les prisons de Paris.
Voilà ce que nous raconta Collin ; nous
l’écoutions bien étonnés, comme on pense.
Il nous dit ensuite que pendant cette séance
le peuple attendait ; que vers le soir, ayant appris ce qui
s’était passé, il s’était soulevé pour la délivrance de ces grands
patriotes ; que la brave Commune avait fait sonner le tocsin,
et que les officiers municipaux avaient été délivrer les
prisonniers, en les emmenant à l’hôtel de ville ; mais que
Henriot, un peu gris, selon son habitude, s’était fait arrêter en
courant les rues à cheval pour soulever le peuple, et que les
corrompus l’avaient emmené prisonnier au Comité de sûreté
générale.
Ces choses se passaient entre cinq et sept
heures du soir. À sept heures, la Convention devait se réunir
encore une fois ; on le savait ; Coffinhal courut aux
Tuileries délivrer Henriot avec une centaine de canonniers
patriotes, qui braquèrent aussitôt leurs canons sur la porte de la
Convention, pour empêcher les représentants d’entrer.
Malheureusement, dit Collin, Henriot, au lieu de rester là
tranquillement, eut la bêtise d’aller demander des ordres à l’hôtel
de ville ; pendant ce temps, les représentants arrivèrent, les
canonniers se dispersèrent, et la Convention, malgré le tocsin,
malgré les cris du dehors et le danger de l’insurrection, mit
Henriot, les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just, Lebas, tous les
conspirateurs de la Commune et les principaux Jacobins hors la loi.
Elle envoya des commissaires lire ce décret dans toutes les
sections, et nomma Barras commandant de la force armée contre les
rebelles.
– Tout cela, nous dit Collin avec
indignation, retombe sur Henriot : le malheureux s’était grisé
dès le matin, il criait, il levait son sabre et ne donnait pas
d’ordres.
Moi je pensai tout de suite à Santerre, à
Léchelle, à Rossignol : ces braillards se ressemblaient
tous ; ceux qui les suivaient allaient à la déroute ou bien à
la guillotine.
Le grand Élof, désolé, nous dit qu’alors les
sans-culottes en masse avaient eu peur d’être compris dans le
décret de mise hors la loi, et qu’au lieu d’aller soutenir
Robespierre et les hommes purs à l’hôtel de ville, le plus grand
nombre étaient allés rejoindre Barras aux Tuileries en
criant : « Vive la Convention ! » et qu’entre
une et deux heures du matin, avant le jour, toute la garde
nationale était descendue des deux côtés de la Seine, malgré la
fusillade d’une poignée de patriotes qui voulaient résister le long
de la rivière ; qu’elle avait envahi la maison commune, où se
trouvaient les vrais représentants du peuple ; que Henriot
avait été jeté par les fenêtres ; que Robespierre avait reçu
un coup de pistolet à la figure ; qu’on avait traîné Couthon
dans un égoût ; que Lebas s’était tué ; que Saint-Just,
Robespierre jeune, enfin tous les soutiens de la république, à
travers les coups de pied, les coups de crosse, les soufflets et
les crachats, avaient été ramenés en prison, et Robespierre
transporté sur une planche à la Convention, où l’on n’avait pas
même voulu le voir, soi-disant parce que sa vue aurait souillé les
regards des fricoteurs ; – et
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