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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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disait, matin et soir :
    – Eh bien, ils n’ont pas encore fait
banqueroute ? Ce n’est pas encore pour aujourd’hui ? Ce
sera pour demain !… Le gueux va donc déshonorer nos vieux
jours… Je le savais bien… Ça ne pouvait pas finir
autrement !…
    Ainsi de suite.
    Le pauvre homme en perdait la tête. Il ne me
disait rien de ces misères, mais ses joues longues, ses yeux
inquiets m’apprenaient assez ce qu’il devait souffrir.
    Enfin au bout d’un ou deux mois, quand je vis
que toute la ville et les environs, bourgeois, paysans, soldats,
habitués à venir prendre chez nous leurs gazettes, leur papier,
leur encre et leurs plumes, achetaient par la même occasion du
tabac, du sel, du savon, tout ce qu’il leur fallait ; que les
ménagères aussi commençaient à connaître le chemin de notre maison,
et que sou par sou, liard par liard, nous rentrions dans notre
argent ; quand nous eûmes remboursé la facture de Simonis, et
qu’au bout de ce temps Marguerite me montra clairement que nous
avions gagné chaque jour huit à dix livres, alors je repris haleine
et je lui permis non seulement de redemander à Strasbourg les
marchandises que nous avions vendues et qui nous manquaient, mais
encore quelques autres qu’on nous demandait et que nous n’avions
pas eues jusqu’à ce moment.
    Notre petit commerce de journaux, d’encre, de
papier, de catéchismes républicains, de plumes et autres
fournitures de bureau allait toujours son train ; nous étions
tous occupés à la boutique et cela ne nous empêchait pas, le soir,
après souper, en mettant nos gros sous en rouleaux et faisant nos
cornets, de nous entretenir des affaires de la nation. Tantôt
Étienne, tantôt Marguerite ou moi nous prenions la
Décade,
le
Tribun du peuple,
ou la
Feuille de la
République,
que nous lisions tout haut pour savoir ce qui se
passait.

Chapitre 3
     
    Je me souviens qu’alors il n’était plus
question que de la campagne du Nord, des batailles de Courtrai, de
Pont-à-Chin, de Fleuras ; Jourdan et Pichegru se trouvaient en
première ligne au dehors, sur nos frontières. À l’intérieur,
Robespierre s’élevait de plus en plus. Il avait fait décréter la
reconnaissance de l’Être suprême et la croyance du peuple à
l’immortalité de l’âme. Le bruit courait que bientôt tout serait en
ordre, que les guillotinades cesseraient après la punition des
grands coupables, et que nous aurions enfin le règne de la vertu.
La principale affaire c’était de ressembler aux anciens
Romains ; on disait que les Jacobins en approchaient, mais
qu’ils ne montaient pourtant pas encore à leur hauteur. Beaucoup de
citoyens, qui s’appelaient dans le temps Joseph, Jean, Claude ou
Nicolas, avaient changé de nom ; le nouveau calendrier ne
reconnaissait plus que Brutus, Cincinnatus, Gracchus ; et ceux
qui n’avaient pas une grande instruction ne savaient pas ce que
cela voulait dire. Aux fêtes patriotiques, les déesses allaient
presques nues ; voilà des choses malhonnêtes et véritablement
dégoûtantes.
    C’était même contraire au bon sens, de vouloir
ressembler à des gens que les trois quarts de la nation ne
connaissaient pas, et de nous réformer sur le modèle des anciens
païens, à demi-sauvages ; mais on se gardait bien de
s’indigner contre ces bêtises, parce que les dénonciations
pleuvaient, et qu’on était empoigné, jugé et guillotiné dans les
quarante-huit heures. Chaque fois que Robespierre parlait à la
Convention, on votait l’impression de ce qu’il avait dit ;
tous les clubs, toutes les municipalités recevaient ses discours,
qu’on affichait partout, comme aujourd’hui les mandements des
évêques. On aurait cru que le bon Dieu venait de parler.
    Et tout à coup, en juin et juillet, cet homme
se tut ; il n’alla plus dans les Comités de surveillance et de
salut public. Moi, je crois en mon âme et conscience qu’il se
figurait qu’on ne pouvait plus se passer de lui ; qu’il
faudrait absolument le supplier à genoux de revenir, et qu’alors il
ferait ses conditions au pays. J’ai toujours eu cette idée,
d’autant plus que son ami Saint-Just, qui rentrait d’une mission à
l’armée, voyant que rien ne bougeait, que tout marchait très bien
sans eux, déclara qu’il fallait un dictateur, et que ce dictateur
ne pouvait être que le vertueux Robespierre. Il fit cette
déclaration au Comité de salut public ; mais les autres
membres du Comité virent où ces êtres

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