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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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les articles
que nous vendions, et tous les autres détails de l’existence. Quand
on reste chez soi ; quand on ne va pas au cabaret dépenser ce
qu’on gagne ; quand on se plaît avec sa femme et qu’on
surveille ses affaires, alors tous les jours se ressemblent, ils
sont tous heureux, surtout pendant la jeunesse.
    Malgré cela nous traversions une bien vilaine
année ; je me souviens que jamais on ne vit de plus grande
confusion dans le pays, de plus grande inquiétude et de plus
profonde misère qu’après la mort de Robespierre. Les journaux étant
pleins de fêtes, de danses, de nouvelles modes, de
réjouissances ; on ne parlait que de la Cabarrus, de la veuve
Beauharnais et de cinq ou six autres femmes en train de festoyer et
de ressusciter, comme on disait, les mœurs élégantes d’autrefois.
Pendant ce temps le peuple, par l’accaparement des grains,
l’abolition du maximum, la chute des assignats, la prospérité des
filous, la rentrée des girondins, des fédéralistes et des
émigrés ; par la condamnation des patriotes, rendus
responsables de l’exécution des ordres du Comité de salut
public ; par l’envahissement des capucins, des moines, qui
réclamaient leurs chapelles, et des curés qui redemandaient leurs
églises ; la fermeture de tous les clubs, après celui des
Jacobins de Paris, enfin par le triomphe de la mauvaise race, – qui
se remettait à crier, à clabauder, à menacer, – et mille autres
choses pareilles, le peuple était si misérable, que les gens
mouraient de faim comme des animaux. Et là-dessus l’hiver
arriva ! Moi je n’ai jamais pu comprendre comment cette famine
d’hiver fut si grande, car en traversant la France, dix mois avant,
j’avais vu que tout se présentait bien ; les récoltes, les
moissons de toute sorte n’avaient pas manqué ; peut-être les
avait-on mangées à mesure, comme il arrive lorsqu’on a longtemps
souffert et qu’on ne peut plus attendre, c’est possible !
D’autres disent que le bouleversement des lois et l’abolition du
maximum en furent principalement cause ; que c’était arrangé
d’avance entre les royalistes et les thermidoriens, pour soulever
le peuple contre la république et le forcer à redemander des rois,
des princes, des ducs, qui font la pluie et le beau temps, avec le
secours des évêques et la grâce de Dieu, comme chacun sait.
    Tout ce que je peux dire, c’est que les
thermidoriens, en rappelant les girondins, sur la proposition de
Sieyès, en s’associant avec les royalistes, en menant la vie avec
des femmes et s’en glorifiant eux-mêmes dans leurs gazettes,
avaient fini par vous décourager et que, dans ce temps de terrible
misère, on apprit qu’une partie du peuple de Paris demandait à la
Convention de rétablir des rois, déclarant qu’il se repentait
d’avoir soutenu la révolution. Voilà comment par la ruse, la
débauche, l’invention des modes honteuses et d’autres ordures que
les imbéciles imitent, les filous arrivent toujours à faire passer
leurs vices pour des vertus, à décourager les honnêtes gens, et
finalement à remettre la main dans le sac de la nation, ce qu’ils
désirent le plus, car alors ils sont au pinacle et payent leurs
débauches avec notre argent.
    Des quantités de gueux firent leur fortune en
94 ; ils achetaient des assignats de vingt francs pour dix
sous, et payaient avec cela les biens nationaux, et leurs anciennes
dettes, reçues en beaux deniers comptants. Tout était perdu si
l’armée avait suivi ces exemples abominables ; mais c’est
alors qu’on reconnut dans l’armée les vertus républicaines. Les
thermidoriens et leurs amis s’étaient dépêchés de remplacer les
montagnards au Comité de salut public ; mais un Carnot, un
Prieur, de la Côte-d’Or, un Robert Lindet, – des travailleurs
terribles, capables d’organiser, de nourrir et de diriger des
armées ; des patriotes qui ne pensent qu’à leur devoir jour et
nuit, – ne sont pas faciles à remplacer par des braillards et des
intrigants ; il avait bien fallu les laisser en place encore
quelque temps, et ceux-là nos armées les connaissaient, elles
pensaient comme eux.
    Alors, pendant qu’à l’intérieur, sous la
direction des Tallien, des Fréron, des Barras, tout s’en allait en
pourriture, que les muscadins avaient la permission d’assassiner
les patriotes avec leurs cannes plombées ; qu’ils donnaient
des bals à la victime ; qu’ils faisaient des saluts à

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