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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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après
leurs princes, leurs seigneurs et leurs évêques. Dites seulement
que vous avez fait un voyage, que vous rentrez dans votre famille,
ou d’autres farces pareilles. Venez, tout ira bien. N’ayez pas
peur, fils de saint Louis, le trône de vos pères est déjà
prêt. »
    Oui, ces honnêtes girondins, qu’on représente
partout comme des victimes, avaient préparé ça depuis le
commencement ; ils se croyaient déjà sûrs de leurs affaires et
se dépêchaient un peu trop ; tous les jacobins n’étaient pas
morts, ni les cordeliers non plus ; et puis les paysans
voulaient aussi garder leurs biens nationaux, leurs biens de
l’Église, et beaucoup d’autres choses que vous verrez par la
suite.
    Tout cela n’empêcha pas la débâcle des
patriotes dans toute la France. À Phalsbourg, Élof Collin, Manque,
Henri Burck, Laffrenez, Loustau, Thévenot, tous les officiers
publics, membres du club de l’Égalité, furent mis de côté, bien
heureux encore d’en être quittes à si bon marché. Nous eûmes alors
pour maire le docteur Steinbrenner, qui ne s’occupait que de sa
médecine, et laissait les affaires du district entre les mains du
secrétaire de la mairie, Frœlig ; il ne passait pas seulement
une demi-heure à l’hôtel de ville par jour, et je crois qu’il ne
lisait jamais un journal ; les autres officiers municipaux,
comme Mathis Ehlinger, l’aubergiste, le cafetier Mittenhof, Masson,
le directeur de la poste aux chevaux, s’occupaient tout au plus de
dresser les actes civils, sans s’inquiéter d’autre chose que de
leurs affaires.
    Voilà comme tout décline, lorsque ceux
d’en-haut ne pensent qu’à tout happer, et regardent le peuple comme
un moyen de s’enrichir. Dans un temps pareil, les plus courageux se
laissent abattre et se retirent chez eux, en attendant que
l’occasion se représente de réclamer leurs droits.

Chapitre 6
     
    En ce temps, Chauvel passa chez nous comme un
éclair ; il avait pris la traverse de Saverne, au pied de la
côte, pour gagner une demi-heure sur la voiture et repartir tout de
suite. Nous venions de compter nos gros sous ; je fermais
notre boutique après dix heures, lorsqu’il entra brusquement, son
manteau de voyage sur l’épaule, et nous dit tout
essoufflé :
    – C’est moi, mes enfants ; je viens
vous embrasser en passant, et je repars.
    Qu’on se figure notre saisissement et nos
embrassades ! Chauvel retournait à Paris. Il était toujours le
même, seulement un peu courbé, les joues creuses et les sourcils
blancs ; ses yeux, toujours vifs, se troublèrent un instant
lorsqu’il prit le petit enfant et qu’il l’embrassa. Tout le temps
qu’il resta dans notre bibliothèque, il ne fit que marcher,
l’enfant sur le bras, le regardant et lui souriant.
    – C’est un bel enfant, disait-il ; à
six ans il saura le catéchisme des droits de l’homme.
    J’avais envoyé mon frère Étienne prévenir Élof
Collin, et faire ensuite sentinelle sur la route, pour nous avertir
quand arriverait le coche. Marguerite pleurait ; moi j’étais
tout pâle, en pensant que nous allions nous séparer si vite. Élof
arriva tard, quelques minutes avant la voiture, et je me rappelle
que ce grand corps sanglotait en parlant de Robespierre, de
Saint-Just et des traîtres. Chauvel resta calme et lui
dit :
    – C’est un grand malheur !… Les
hommes sont des hommes, il ne faut pas en faire des dieux ;
ils durent quelque temps… ils s’usent. Danton et Robespierre
étaient deux grands patriotes : Danton aimait la liberté,
Robespierre ne l’aimait pas, elle gênait ses idées d’autorité,
c’est la cause de leur perte ; ils ne pouvaient vivre ensemble
ni se passer l’un de l’autre ; mais les principes
restent ! La moitié de la révolution est faite : les
paysans ont leur part ; ils ont la terre sans dîmes, sans
privilèges ; l’autre moitié reste à faire ; il faut que
les ouvriers aient aussi leur part comme nos paysans ; qu’ils
jouissent du fruit de leur travail. Cela ne peut arriver que par
l’instruction et la liberté ; la liberté nivelle, le privilège
entasse ; après l’entassement, tout s’écroule ; la
révolution finira par la justice pour tous, pas avant.
    Il dit encore d’autres choses dont je ne me
souviens pas ; puis la voiture arriva ; les larmes, les
embrassades recommencèrent, et ce bon patriote, cet excellent homme
partit.
    Tout cela vient de me revenir comme un
rêve ; après tant

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