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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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aux
environs.
    L’idée me venait qu’elle aimait notre enfant,
qu’elle souhaitait de le voir, et que par lui nous serions
réconciliés. Rien que de penser à cela j’avais envie de
pleurer ; mais je n’en parlais pas à Marguerite, craignant de
me tromper.
    Souvent aussi le vieux père, lorsqu’il berçait
l’enfant comme une bonne nourrice, et qu’il le regardait avec
bonheur, souvent il m’avait dit tout bas à l’oreille :
    – Si ta mère le voyait, Michel, elle te
bénirait, elle nous bénirait tous.
    Et comme un dimanche, dans notre chambre à
coucher, il me disait cela, je lui demandai :
    – Vous croyez, mon père ; vous en
êtes sûr ?
    – Si je le crois, fit-il en joignant les
mains, oui, oui ! ce serait sa joie… Seulement elle n’ose pas
venir ; elle a tant crié contre ta femme… elle est
honteuse.
    Alors, sans rien écouter de plus, je pris
l’enfant sur mon bras et je dis au père :
    – Eh bien ! allons voir, partons
tout de suite.
    – Où ça ? fit-il étonné.
    – Eh ! aux Baraques.
    – Mais ta femme ?
    – Marguerite sera contente, ne craignez
rien.
    Le pauvre homme, tout tremblant, me
suivit ; dans la boutique, je dis à Marguerite :
    – Ma mère serait bien heureuse de voir
notre enfant ; j’y vais, nous serons de retour à midi.
    Marguerite devint toute pâle ; elle avait
appris les mauvais propos de ma mère sur son compte, mais c’était
une femme de cœur, incapable de me donner tort quand j’avais
raison.
    – Va, dit-elle ; que ta mère sache
au moins que nous ne sommes pas aussi durs qu’elle, et que je
n’oublierai jamais qu’elle est ta mère.
    En entendant cela, mon père lui prit les deux
mains ; on aurait cru qu’il allait fondre en larmes et qu’il
voulait parler, mais il ne dit rien, et nous partîmes aussitôt.
Bien plus loin, dans le sentier des Baraques, entre les blés, il se
mit à célébrer les vertus de Marguerite, sa bonté pour lui et pour
tout le monde ; il avait des larmes plein les yeux. Je ne lui
répondis pas, songeant à la surprise de ma mère et n’étant pas
encore sûr qu’elle nous recevrait bien.
    C’est ainsi que nous entrâmes au village,
passant devant l’auberge des Trois-Pigeons et les autres baraques,
sans nous arrêter. La vieille rue était presque déserte ; car,
outre la foule de recrues et d’anciens soldats encore aux armées,
beaucoup de patriotes étaient en réquisition permanente pour les
transports de vivres et de munitions ; les femmes et quelques
vieillards faisaient seuls les récoltes.
    Ma mère, maintenant trop vieille, passait son
temps à filer, ce qui lui rapportait cinq ou six liards par
jour ; mon père gagnait huit à dix sous avec ses paniers, et
quant au reste, c’est Claude, Mathurine et moi qui soutenions les
pauvres vieux sans le dire. Enfin, sauf la vieillesse, qui vous
rend toujours un peu malade et triste, ils n’avaient jamais été
plus heureux.
    Il faisait très beau, tous les vergers étaient
pleins de fruits : pommes, poires, prunes, qui se penchaient
aux branches par-dessus les haies, comme au bon temps de notre
enfance, lorsque Nicolas, Claude, Lisbeth et moi nous courions,
pieds nus et déguenillés, dans la poussière des chemins ou dans la
vallée des Roches, avec bien d’autres, dont les trois quarts
étaient déjà morts.
    Ces souvenirs, en me revenant, m’avaient rendu
grave ; deux ou trois vieilles regardaient à leur lucarne sans
me reconnaître ; l’air bourdonnait, des milliards de mouches
et d’abeilles voltigeaient dans le feuillage ; les hommes
passent, et ce spectacle est éternel.
    Tout à coup, au détour d’un vieux hangar, je
vis ma mère assise sur la marche de notre baraque. C’était
dimanche, elle avait ses beaux habits et ses souliers ; elle
disait son chapelet.
    Jamais elle n’avait connu les primidi, les
duodi, les tridi, les floréal, les prairial, etc., qui lui
paraissaient des inventions du diable. Elle priait donc seule, et
le bruit de nos pas lui fit tourner la tête, mais elle ne bougea
pas. Je crus qu’elle m’en voulait toujours ; c’était une
mauvaise pensée, car à peine eut-elle vu l’enfant, que ses deux
grandes mains sèches s’étendirent ; elle essaya de se lever et
se rassit toute tremblante. Je lui donnai le petit sans rien dire,
étant moi-même trop ému ; elle le posa sur ses genoux et
l’embrassa en sanglotant, et puis elle me dit :
    – Viens, Michel, que je t’embrasse

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