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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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le bonheur d’être au milieu
de ma famille et de mes amis, de voir ma femme, mon fils, mon vieux
père autour de moi, j’aurais bien repris mon fusil et recommencé
nos campagnes contre les traîtres. Beaucoup d’autres auraient eu le
même courage ; mais à quoi bon ? les chefs manquaient,
ils s’étaient guillotinés ! Quelle misère !
    C’est alors que les patriotes virent où nous
avions marché. Moi j’aurais donné mon sang pour ressusciter
Robespierre et Saint-Just, que je haïssais, et Collin aurait donné
sa tête pour ravoir Danton et Camille Desmoulins, qu’il avait
appelés corrompus. Enfin, quand le mal est fait, toutes les
plaintes et tous les regrets du monde ne servent à rien.
    Quelques jours après, ces thermidoriens, ces
girondins, ces royalistes envoyèrent à la guillotine le terrible
Fouquier-Tinville, ancien accusateur public, et quinze juges du
tribunal révolutionnaire. Les mouchards couraient aussi derrière la
charrette de Fouquier-Tinville en lui criant d’un air
moqueur :
    – Tu n’as pas la parole !
    Et lui répondait :
    – Et toi, peuple imbécile, tu n’as pas de
pain !
    Il avait raison, les réactionnaires ne
laissaient rien arriver à Paris ; le peuple ne recevait plus
que deux onces de pain par homme et par jour ! Chez nous on
avait fait les petites récoltes ; les paysans avaient déjà
vendu leurs réserves en grains et fourrages, voyant que les grandes
récoltes seraient bonnes ; la famine n’existait plus !
Mais il fallait des insurrections aux royalistes, pour avoir
l’occasion de les écraser ; ils se sentaient soutenus
maintenant et voulaient redevenir les maîtres : il fallait
donc affamer les malheureux.
    Aussi la grande insurrection du 20 mai 95, –
1 er prairial an III – ne tarda pas longtemps, cette
insurrection de la famine, où les femmes, les enfants et quelques
bataillons du faubourg Antoine se précipitèrent dans la salle de la
Convention en criant :
    – Du pain, et la constitution de
93 !
    Le comte Boissy-d’Anglas resta six heures à sa
place de président, le chapeau sur la tête, au milieu des haches,
des piques, des baïonnettes qui se penchaient vers sa poitrine. Mgr
le comte d’Artois n’aurait pas voulu se trouver à sa place, j’en
suis sûr. Ce Boissy-d’Anglas était un royaliste ; il avait du
courage, et salua même la tête du représentant Féraud, qu’on lui
présentait au bout d’une pique, pour l’effrayer.
    Ces choses ont été racontées mille fois.
    L’insurrection du 1 er prairial dura
trois jours. La Convention vota beaucoup de décrets selon la
volonté du peuple, lorsqu’il était maître dans la salle, et les
brûla tous le lendemain. Le peuple n’avait plus de chefs, il ne
savait quoi faire de sa victoire ; si Danton avait été là, il
aurait parlé pour lui. Le second jour, vingt mille hommes des
sections thermidoriennes et royalistes, avec un renfort de six
mille dragons, repoussèrent l’insurrection dans ses quartiers
misérables, d’où la famine l’avait fait sortir ; et le peuple,
après tant de milliers d’hommes perdus à la frontière,
recula ; il n’osa pas accepter la bataille et s’avoua vaincu
dans Paris.
    C’est la dernière grande insurrection ;
sans nos armées, qui tenaient à la république et pouvaient marcher
sur Paris pour la rétablir, ce jour-là les thermidoriens, les
girondins et les royalistes auraient eu leur Louis XVIII. Tous les
membres des anciens Comités de salut public et de sûreté générale,
excepté Carnot et Louis du Bas-Rhin, vingt-et-un autres
représentants du peuple et dix mille patriotes reconnus, furent
arrêtés, déportés ou guillotinés dans cette semaine. Quelle chance
pour Chauvel d’être encore en mission ! La ruse fait plus pour
les traîtres que la force ; avec la force ils n’avaient rien
gagné, mais alors ils eurent tout entre les mains ; ils
cassèrent la gendarmerie patriote ; ils reprirent ses canons à
la garde nationale et toutes leurs armes aux ouvriers, dont plus un
seul ne fit partie de la garde citoyenne. Ils rétablirent à Paris
une garnison de troupes de ligne, comme avant 89 ; enfin il ne
leur manquait plus que le roi. Mais les armées de la république
étaient encore là, sous les armes ; maintenant il s’agissait
d’acheter des généraux capables de vendre la nation, et puis
d’écrire à Sa Majesté : « Venez, Sire, il n’y a plus de
danger ! Venez au milieu de vos enfants, qui pleurent

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