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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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République ; que le
gouvernement est chargé spécialement par le peuple français de
veiller à sa sûreté, arrêtent ce qui suit :
    » Art. I er . Le ministre de la
police ne laissera,
pendant toute la guerre,
imprimer,
publier et distribuer que les journaux ci-après désignés : le
Moniteur universel,
le
Journal des débats et des
décrets,
le
Journal de Paris,
le
Bien informé,
l’Ami des lois,
la
Clef des Cabinets,
le
Citoyen
français,
la
Gazette de France,
le
Journal des
hommes libres,
le
Journal du soir,
le
Journal des
défenseurs de la patrie,
la
Décade
philosophique. 
»
    En tout treize journaux. Et, comme nous avions
toujours la guerre, cela ne devait jamais finir. Après cela, chacun
peut se figurer à quel degré d’abaissement, de stupidité et
d’ignorance la nation fut bientôt réduite ; d’autant plus que,
pendant tout son règne, Bonaparte ne donna pas un centime pour
l’instruction primaire, et ne s’inquiéta que des lycées et des
hautes écoles pour la bourgeoisie et la noblesse. Mais en revanche,
bien des gens oubliés revinrent sur l’eau ; jamais on ne se
fera l’idée de l’enthousiasme d’une foule d’anciens gentilshommes,
de ci-devant écuyers, seigneurs, comtes, vicomtes, grandes dames,
valets de cour, employés de faisanderie ou de la cuisine, d’avoir
enfin un homme devant qui se prosterner. Cela leur manquait depuis
longtemps. Ce n’était pas le roi légitime, hélas, non !
C’était même un assez rude personnage, un soldat de fortune très
insolent, mais c’était le maître ! Et l’on se précipitait dans
ses antichambres ; on avait besoin de servir : il est si
doux de servir !
    Bonaparte aimait cette espèce de gens ;
il les recevait bien et disait que la vieille noblesse se reconnaît
toujours à ses belles manières ; qu’il faut être élevé
là-dedans de père en fils, pour s’en tirer aussi bien. Mais il
n’était pas encore aux Tuileries, et c’est aux Tuileries qu’il
voulait les recevoir.
    En attendant, comme l’amour d’un homme ne
remplace pas tout à fait l’amour de la patrie, et qu’il faut
encourager ceux qui sont dans le bon chemin, en les marquant d’un
signe, les consuls de la république arrêtèrent qu’il serait donné
aux individus qui se distingueraient par une action d’éclat :
1° aux grenadiers et soldats des fusils garnis d’argent ; 2°
aux tambours, des baguettes d’honneur garnies en argent ; 3°
aux militaires de troupes à cheval, des mousquetons d’honneur
garnis en argent ; 4° aux trompettes, des trompettes d’honneur
en argent ; 5° que les canonniers pointeurs les plus adroits,
qui dans une bataille rendraient le plus de services, recevraient
des grenades d’or qu’ils porteraient sur le parement de leurs
habits, et que tout militaire qui aurait obtenu une de ces
récompenses jouirait de cinq centimes de haute paye par jour.
    Ainsi tout se payait comme dans notre
boutique ; la livre de sucre, tant ; l’once de cannelle,
tant ; le litre de vinaigre, tant ; le dévouement du
soldat, tant ! du lieutenant, tant ! du capitaine,
tant ! Tu courais le risque de perdre la vie, tant pour les
risques, et nous sommes quittes ! Quant à ton dévouement, à
tes sacrifices, ne m’en parle pas. Tout ce qui se paye et s’achète
est de la marchandise ; laissons donc de côté la gloire. La
gloire existait sous la république, quand les Jourdan, les Hoche,
les Kléber, les Marceau se sacrifiaient avec des milliers d’autres
pour la liberté, l’égalité et la fraternité ; oui, la gloire
était leur seule récompense ; ils ne voulaient ni titres, ni
décorations, ni grosses pensions, ni gratifications ! Mais
chaque fois qu’on me parle de la gloire avec de gros profits,
l’idée me vient de proposer au conseil municipal de m’élever une
statue sur la place d’armes de Phalsbourg, pour avoir pendant
quinze ans fourni mes compatriotes, contre beaux deniers comptants,
de poivre, de gingembre, de clous de girofle et autres denrées
coloniales. Les gens m’ont payé, c’est vrai ; je me suis fait
épicier dans mon intérêt, c’est encore vrai ; mais du moment
que l’état militaire rapporte autant et plus de bénéfices en tous
genres que l’épicerie, je ne vois pas pourquoi Michel Bastien,
premier épicier de la commune, n’aurait pas sa statue aussi bien
que Georges Mouton.
    Tout cela, vous le voyez bien, c’est une
plaisanterie : la gloire vient du dévouement !

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