Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte
à trois
consuls, nommés pour dix ans et indéfiniment rééligibles. La
constitution nomme premier consul le citoyen Bonaparte, ex-consul
provisoire ; deuxième consul, le citoyen Cambacérès,
ex-ministre de la justice ; troisième consul, le citoyen
Lebrun, ex-membre de la commission des Anciens.
» Le premier consul a des fonctions et
des attributions particulières, dans lesquelles il est
momentanément suppléé, quand il y a lieu, par un de ses
collègues.
» Le premier consul promulgue les
lois ; il nomme et révoque à volonté les membres du conseil
d’État, les ministres, les ambassadeurs et autres agents extérieurs
en chef ; les officiers de l’armée de terre et de mer, les
membres des administrations locales et les commissaires du
gouvernement près les tribunaux ; il nomme les juges criminels
et civils autres que les juges de paix et les juges de cassation,
sans pouvoir les révoquer.
» Le gouvernement propose les lois et
fait les règlements nécessaires pour les exécuter ; il dirige
les recettes et les dépenses de l’État ; il surveille la
fabrication des monnaies. S’il est informé qu’il se trame quelque
conspiration contre l’État, il peut décerner des mandats d’amener
et des mandats d’arrêt. Il pourvoit à la sûreté intérieure et à la
défense extérieure de l’État ; il distribue les forces de
terre et de mer et en règle la direction. Il entretient des
relations politiques au dehors, conduit les négociations, fait les
stipulations préliminaires, signe, fait signer et conclut les
traités de paix, d’alliance, de trêve, de neutralité, de commerce
et autres conventions. Sous la direction des consuls, le conseil
d’État est chargé de rédiger les projets de loi et les règlements
d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui
s’élèvent en matière d’administration. »
Enfin, qu’est-ce qui restait aux autres, je le
demande, et quelles garanties avions-nous ? Qui pouvait
s’opposer à la volonté du premier consul, qui ? Il avait tout
fait, tout nommé du haut en bas : sénateurs, pour maintenir ou
annuler les actes inconstitutionnels ; conseillers d’État,
pour défendre les projets de loi ; tribuns pour les
attaquer ; et par sa constitution il voulait continuer de tout
faire, tout nommer et tout décider, car son Corps législatif était
une vraie farce. Écoutez un peu :
« Les citoyens de chaque arrondissement
communal désigneront ceux d’entre eux qu’ils croiront les plus
propres à gérer les affaires publiques (un sur dix). Les citoyens
compris dans ces listes communales désigneront également un dixième
d’entre eux ; il en résultera une seconde liste
départementale. Les citoyens portés sur la liste départementale
désigneront pareillement un dixième d’entre eux, il en résultera
une troisième liste. »
Vous croyez peut-être que ceux-ci vont enfin
nommer les députés, pas du tout : « Ceux-là sont propres
aux fonctions publiques nationales. »
« Toutes les listes faites dans les
départements en vertu de l’article 9 (les dernières), seront
adressées au sénat ; le sénat élit sur ces listes les
législateurs, les tribuns, les consuls, les juges de cassation et
les commissaires de la comptabilité. »
Et le sénat, qui l’avait nommé ? Les
consuls ! – Je ne veux pas aller plus loin, cela suffit pour
vous montrer dans quel état nous étions tombés : le premier
consul faisait tout et la nation rien ! Quant aux discussions
entre le conseil d’État et le tribunat dans la présentation des
lois, c’était une espèce de mécanique montée pour faire croire que
nous avions un gouvernement et que nous débattions nos
intérêts ; les uns attaquaient toujours le projet et les
autres le défendaient toujours, comme Polichinelle à la foire donne
toujours les coups de pied, et Jocrisse les reçoit toujours, en
faisant des grimaces ; on finit par rire malgré soi, tant la
chose vous semble bête. Il paraît pourtant que le premier consul
était jaloux de son théâtre, car plusieurs journaux s’étant permis
d’exécuter les farces du tribunat et du conseil d’État, et de se
disputer entre eux sur les projets, on vit un beau matin, au
Moniteur :
« Arrêté du 27 nivôse. – Les consuls de
la République, considérant qu’une partie des journaux qui
s’impriment dans le département de la Seine sont des instruments
dans les mains des ennemis de la
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