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Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte

Titel: Histoire d'un paysan - 1794 à 1795 - Le Citoyen Bonaparte Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erckmann-Chatrian
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Et
Bonaparte comptait si peu sur le dévouement, qu’il n’avait jamais
parlé que d’intérêt à ses soldats : « Soldats, je vais
vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde ! »
– « Soldats, au retour de cette expédition, chacun de vous
aura de quoi acheter six arpents de terre. » Maintenant ils
n’avaient besoin de rien acheter, ils étaient dans les plus
fertiles plaines du monde : la France ! riche en grains,
riche en fourrages, riche en fruits, riche en bons vins, riche en
denrées de toute sorte, et surtout riche en conscrits. Ils avaient
gagné tous les droits que la nation avait perdus.
    Après avoir joué contre nous, Bonaparte allait
jouer contre l’Europe, pour donner des trônes à ses frères, la
nation allait être forcée de lui fournir tous les enjeux, mais
comme il avait promis la paix au pays, et que cette promesse avait
fait deux fois son élévation, il écrivit familièrement au roi
d’Angleterre George III, que les Anglais et les Français pourraient
fort bien s’entendre, dans l’intérêt de leur commerce, de leur
prospérité intérieure et du bonheur des familles ; et qu’il
s’adressait tout bonnement à lui, sans s’inquiéter de ses
ministres, ni de ses chambres, ni de ses autres conseillers, parce
que ces choses-là se traitent beaucoup mieux de camarade à
camarade, comme on s’offre une prise de tabac.
    Le roi George fut très étonné de voir un petit
gentilhomme corse lui frapper sur l’épaule. Il refusa de répondre,
disant que la Constitution anglaise s’y opposait. Mais son premier
ministre Pitt, qui nous avait déjà fait tant de mal, en payant les
deux premières coalitions contre nous et débarquant des armées
entières sur nos côtes, comprit très bien que Bonaparte voulait
rire, en flattant le peuple français de cette paix ;
seulement, lui-même désirait la continuation de la guerre ; il
répondit donc par une note, qui fut affichée dans les derniers
villages : « Que notre révolution attaquait tout
l’univers ; qu’elle était contraire aux propriétés, à la
liberté des personnes, à l’ordre social et à la liberté de la
religion ; que Sa Majesté George III ne pouvait avoir
confiance dans nos traités de paix et nos promesses ; qu’il
lui fallait d’autres garanties ; et que la meilleure garantie
pour lui, serait le rétablissement de cette race de princes qui,
durant tant de siècles, avaient su maintenir au-dedans la
prospérité de la nation française, et lui assurer de la
considération et du respect au-dehors ; qu’un tel événement
écarterait à l’instant et dans tous les temps les obstacles qui
s’opposaient aux négociations de paix ; qu’il assurerait à la
France la jouissance incontestée de son ancien territoire, et
donnerait à toutes les autres nations de l’Europe, par des moyens
tranquilles et paisibles, la sécurité qu’elles étaient actuellement
forcées de chercher par d’autres moyens, etc., etc. »
    Cela signifiait que le roi George et son
ministre regardaient l’existence de notre république, comme le plus
grand danger que pussent courir toutes les familles de nobles, de
princes et de rois, qui subsistent aux dépens des peuples en
Europe. Ils s’étaient dit :
    « Cette république périra, ou nous
périrons ! La souveraineté d’un peuple ne peut exister à côté
du droit divin des autres. »
    Et c’était vrai. Bonaparte le savait
bien ; – si les rois avaient voulu le recevoir dans leur
famille, la paix et la fin de notre république ne se seraient pas
fait attendre longtemps ; mais ni le roi George, ni François
II, ni l’empereur Paul ne voulaient de lui ; la guerre était
donc inévitable.
    La république avait repoussé toutes les
attaques des rois et tendu la main aux peuples ; elle avait
répandu la connaissance des droits de l’homme jusqu’en Russie et
fait trembler les despotes chez eux. Je suis sûr que les peuples
auraient fini par la comprendre et l’aimer. Nos dernières
victoires, pendant que notre meilleure armée et presque tous nos
meilleurs généraux étaient en Égypte, prouvaient que nous avions de
la force encore pour vingt ans, et dans ces vingt ans l’esprit de
liberté, de justice et de dévouement au genre humain aurait marché
toujours.
    Depuis l’arrivée de Bonaparte, l’intérêt seul
avait pris le dessus ; il voulait une place parmi les rois, et
c’est nous qui devions la gagner. La guerre devint alors

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