Histoire Romaine
ni l’obstacle des formes
sénatoriales, ni, comme devant les prétoires, l’intérêt de l’accusation ou de l’accusé,
chose étrangère le plus souvent à la politique. Là, seulement, il se levait
portant haut le cœur, et tenait suspendu à ses lèvres le grand et puissant
auditoire du Forum romain. Ces grands jours étaient passés, non qu’il manquât d’orateurs,
ou qu’on eût cessé de publier les discours tenus devant les citoyens, bien au
contraire, les écrits politiques en tous genres commencent à pulluler, et au
grand ennui des convives, l’amphitryon leur inflige même à table la lecture de
son dernier discours parachevé. Publius Clodius débite en brochures ses allocutions
populaires, comme avait fait Gaius Gracchus : mais de ce que deux hommes
agissent de même, s’ensuit-il qu’ils font la même chose ? Les princes et
chefs de l’opposition, César tout le premier, ne parlèrent plus que bien
rarement au peuple, et ne publièrent plus leurs. harangues : ils donnèrent
à leurs pamphlets politiques une autre forme que celle des traditionnelles concions :
on vit paraître les éloges de Caton et les critiques anti-catoniennes
remarquables spécimens du genre. Gaius Gracchus avait parlé au peuple : on
s’adresse aujourd’hui à la populace : tel l’auditeur, tel le discours. Qu’on
ne s’en étonne pas, l’écrivain politique en réputation évite l’ornement
désormais. A quoi bon ? il est censé ne parler que devant les foules amoncelées
au Forum.
Cependant, au moment même où l’éloquence, au point de vue de
son importance littéraire et politique tombe et se flétrit, comme toutes les
autres branches des belles lettres jadis florissantes au souffle de la vie nationale,
voici venir un genre nouveau, le plaidoyer, genre singulier, étranger le plus
souvent à la politique. Jusqu’alors on ne s’était point douté que les discours
des avocats fussent débités pour d’autres que les juges et les parties, et qu’ils
dussent prétendre à l’édification littéraire des contemporains et de la
postérité. Jamais homme du barreau n’avait fait recueillir et publier ses
plaidoiries, sauf dans les cas exceptionnels où traitant de matières qui se
rattachaient aux affaires d’État, il y avait un intérêt de parti à leur divulgation.
Quintus Hortensius (610-704 [ 114-50 av. J.-C.] ), le plus illustre avocat romain, au commencement de la période, n’avait donné
les mains qu’à un fort petit nombre de ces publications, alors, je le répète, que
le sujet était tout ou à moitié politique. Mais son successeur dans la royauté
du barreau ; Marcus Tullius Cicéron (618-711
[ -106/-43 ]), en même temps qu’il parlait chaque jour devant les
tribunaux, était aussi non moins fécond écrivain : le premier il prit soin
d’éditer régulièrement ses plaidoyers, même quand la politique n’y avait pas
trait, ou ne s’y rattachait que de loin. Certes il n’y a point là progrès :
à mon compte, c’est décadence au contraire et chose contre nature. De même à
Athènes, l’entrée du genre plaidoyer dans la littérature n’avait été qu’un
fâcheux symptôme : à Rome, le mal était doublement grand. A Athènes, dans
un milieu livré à l’exaltation de la rhétorique, il était sorti, l’on peut dire,
de la nécessité des choses : mais à Rome, la déviation se produisait par
la fantaisie du malade : elle n’était qu’une importation étrangère
absolument contraire aux saines traditions nationales. Néanmoins, le genre
nouveau se fit vite accepter, soit qu’il obéit à l’influence de ses nombreux
contacts avec la harangue politique ; soit que les Romains, gens sans
poésie, ergoteurs et rhéteurs par instinct, offrissent à la nouvelle semence un
terrain tout propice. N’est-il pas vrai qu’aujourd’hui encore fleurit en Italie
une sorte de littérature de prétoire et de plaidoiries ? Ce fut donc par
Cicéron que l’éloquence, dépouillant cette fois son enveloppe politique, obtint
droit de cité dans la république des lettres romaines. Bien souvent déjà nous
avons rencontré cette personnalité aux multiples aspects. Homme d’État sans
pénétration, sans vues, sans desseins, Cicéron est
tour à tour démocrate, aristocrate et instrument passif de
la monarchie : il n’est en somme rien autre chose qu’un égoïste myope. Paraît-il
vigoureux à l’action, c’est que déjà la question a été résolue. Le procès
Weitere Kostenlose Bücher