Hommage à la Catalogne
plus tard que partout ailleurs parce que c’était là que les partis révolutionnaires étaient les plus forts. Il était évident que la seule garantie que les ouvriers pouvaient avoir de conserver leurs conquêtes, c’était de garder quelques-unes des forces armées sous leur propre direction. Comme pour le reste, c’est au nom des exigences militaires que la dissolution des milices fut ordonnée, et personne ne nia qu’une totale réorganisation militaire fût nécessaire. Il eût été tout à fait possible, cependant, de réorganiser les milices, de les rendre plus aptes à leur tâche, tout en les laissant sous le contrôle direct des syndicats ; mais, à la vérité, ce changement avait pour principal but d’empêcher les anarchistes d’avoir leur propre armée. Et puis, l’esprit démocratique des milices en faisait des terrains propices à la croissance des idées révolutionnaires. Les communistes ne l’ignoraient pas et ils ne cessaient d’invectiver âprement contre le principe, défendu par le P.O.U.M. et les anarchistes, de la solde égale pour tous, sans distinction de grades. Ce fut une « bourgeoisification » générale qui eut lieu, une destruction délibérée de l’esprit égalitaire des tout premiers mois de la révolution. Tout cela fut si rapide que ceux qui firent deux voyages successifs en Espagne à quelques mois d’intervalle se sont demandés s’ils avaient bien visité le même pays ; ce qui, superficiellement et pour un court laps de temps, avait paru être un État prolétarien se métamorphosait à vue d’œil en République bourgeoise ordinaire avec l’habituelle division en riches et en pauvres. À l’automne de 1937, le « socialiste » Negrín déclara dans un discours public : « Nous respectons la propriété privée », et tels membres des Cortès qui, suspects de sympathies fascistes, avaient dû s’enfuir du pays au début de la guerre, revinrent en Espagne.
Tout le processus est facile à comprendre si l’on se rappelle qu’il découle de l’alliance temporaire à laquelle le bourgeois et l’ouvrier se voient contraints par le fascisme, sous certaines de ses formes. Cette alliance, connue sous le nom de Front populaire, est essentiellement une alliance d’ennemis, et il semble bien qu’elle ne puisse jamais se terminer autrement que par l’un des partenaires avalant l’autre. Le seul trait inattendu dans la situation espagnole – et qui, hors d’Espagne, a été cause d’innombrables malentendus – c’est que, parmi les partis du côté gouvernemental, les communistes ne se trouvaient pas à l’extrême gauche, mais à l’extrême droite. Rien là d’ailleurs qui dût surprendre, puisque la tactique du parti communiste dans les autres pays, particulièrement en France, a clairement montré que le communisme officiel doit être tenu, actuellement en tout cas, pour une force antirévolutionnaire. Dans son ensemble, la politique du Komintern est actuellement subordonnée (chose excusable, étant donné la situation mondiale) à la défense de l’U.R.S.S., défense qui repose sur un système d’alliances militaires. En particulier, l’U.R.S.S. est alliée avec la France, pays capitaliste et impérialiste. Cette alliance ne peut être utile à la Russie que si le capitalisme français est fort ; la politique communiste en France a donc eu à devenir antirévolutionnaire. Et cela signifie, non seulement que les communistes français défilent à présent derrière le drapeau tricolore en chantant La Marseillaise , mais aussi, ce qui est beaucoup plus important, qu’ils ont eu à cesser toute agitation effective dans les colonies françaises. Il y a moins de trois ans de cela, Thorez, le secrétaire du parti communiste français, déclarait que les ouvriers français ne se laisseraient plus jamais refaire, qu’on ne les amènerait pas à se battre à nouveau contre leurs camarades allemands {14} . Il est aujourd’hui l’un des patriotes les plus forts en gueule de France. La clef de la conduite du parti communiste dans chaque pays est donnée par les rapports d’ordre militaire, existants ou possibles, de ce pays avec l’U.R.S.S. En Angleterre, par exemple, l’attitude est encore incertaine ; de là vient que le parti communiste se montre encore hostile au gouvernement national et qu’il est censé s’opposer au réarmement. Mais que la Grande-Bretagne en vienne à contracter avec l’U.R.S.S. une alliance ou un accord
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