Hommage à la Catalogne
venir au secours du gouvernement espagnol, et comme le Mexique, pour des raisons évidentes, ne pouvait fournir des armes en grande quantité, les Russes étaient donc en situation de dicter leurs conditions. On ne peut guère douter qu’elles furent, en substance : « Empêchez la révolution, ou vous n’aurez pas d’armes », et que le premier coup porté aux éléments révolutionnaires, l’éviction du P.O.U.M. de la Généralité de Catalogne, le fut sur les ordres de l’U.R.S.S. On a nié qu’aucune pression directe ait été exercée par le gouvernement russe, mais la question est de peu d’importance, car on peut considérer comme exécuteurs de la politique russe les partis communistes de tous les pays, et l’on ne nie pas que c’est à l’instigation du parti communiste que fut menée l’action contre le P.O.U.M. d’abord, puis contre les anarchistes et contre la fraction Caballero des socialistes, et, en général, contre toute politique révolutionnaire. À partir du moment où l’U.R.S.S. commença d’intervenir, le triomphe du parti communiste fut assuré. En premier lieu, la gratitude envers la Russie pour les envois d’armes et le fait que le parti communiste, surtout depuis l’arrivée des Brigades internationales, paraissait capable de gagner la guerre, accrurent considérablement le prestige du parti communiste. En second lieu, les armes russes étaient fournies par l’intermédiaire du parti communiste et des partis alliés, qui faisaient en sorte que le moins d’armes possible allât à leurs adversaires politiques {13} . En troisième lieu, se déclarer pour une politique non révolutionnaire donnait aux communistes la possibilité de rassembler tous ceux que les extrémistes avaient épouvantés. Il leur était facile, par exemple, de rallier les paysans les plus riches sur la base de l’opposition à la politique de collectivisation des anarchistes. Les effectifs du parti communiste s’accrurent énormément, et cela dans une large mesure par l’affluence de gens des classes moyennes : boutiquiers, fonctionnaires, officiers de l’armée, paysans aisés, etc. La guerre fut essentiellement une lutte triangulaire. Il fallait continuer à se battre contre Franco, mais simultanément le gouvernement poursuivait un autre but : reconquérir tout le pouvoir que pouvaient encore détenir les syndicats. Cela fut fait par une suite de menus changements – une politique de coups d’épingle, comme quelqu’un l’a dit – et, dans l’ensemble, très intelligemment. Il n’y eut pas de mouvement contre-révolutionnaire général et sautant aux yeux, et jusqu’en mai 1937 il fut rarement besoin d’employer la force. On pouvait toujours mater les ouvriers par le moyen d’un argument qui se laisse aisément deviner tant il va de soi : « Il faut que vous fassiez ceci, et cela, et le reste, ou sinon nous perdrons la guerre. » Et chaque fois, inutile de le dire, il se trouva que ce qu’exigeaient les nécessités militaires c’était l’abandon d’une parcelle de ce que les ouvriers avaient conquis pour eux-mêmes en 1936. Mais l’argument portait toujours, parce que perdre la guerre était bien la dernière chose que voulussent tous les partis révolutionnaires : la perte de la guerre, c’était la démocratie et la révolution, le socialisme et l’anarchisme devenant des mots vides de sens. Les anarchistes, seul parti révolutionnaire suffisamment nombreux pour exercer un rôle important, furent amenés à céder point après point. On mit obstacle au progrès de la collectivisation, on se débarrassa des comités locaux, on supprima les patrouilles d’ouvriers et l’on remit en exercice les forces de police d’avant-guerre, largement renforcées et puissamment armées ; et les diverses industries de base qui avaient été sous le contrôle des syndicats passèrent sous la direction du gouvernement (la saisie du Central téléphonique de Barcelone, qui a été à l’origine des troubles de mai, fut un des épisodes de ce processus) ; enfin le plus important de tout, les milices ouvrières levées sur la base des syndicats furent graduellement dissoutes et réparties dans la nouvelle armée populaire, armée « non politique » de conception semi-bourgeoise, comportant des différences de soldes, une caste privilégiée d’officiers, etc. Étant donné les circonstances à cette date, ce fut vraiment là le pas décisif ; il fut franchi en Catalogne
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