Hommage à la Catalogne
n’en doutait. Même les journaux du P.S.U.C., contrôlées par les communistes et plus ou moins tenus de faire une politique antirévolutionnaire, parlaient de « notre glorieuse révolution ». Et pendant ce temps la presse communiste dans les pays étrangers clamait sur tous les tons qu’il n’y avait nulle part signe de révolution, affirmait alternativement que la saisie des usines, l’organisation des comités ouvriers, etc., n’avaient pas eu lieu, ou qu’elles avaient eu lieu, mais étaient « sans signification politique ». Selon le Daily Worker (du 6 août 1936), ceux qui disaient que le peuple espagnol se battait pour la révolution sociale, ou pour quelque chose d’autre que la démocratie bourgeoise, étaient de « franches canailles qui mentaient ». En revanche, Juan Lopez, membre du gouvernement de Valence, déclara en février 1937 que « le peuple espagnol versait son sang, non pour la République démocratique et sa constitution sur le papier, mais pour... une révolution ». Ainsi, au nombre des « franches canailles qui mentaient » se trouvaient donc des membres du gouvernement même pour lequel nous recevions l’ordre de nous battre ! Certains des journaux étrangers antifascistes s’abaissèrent même jusqu’au mensonge pitoyable de prétendre qu’on n’attaquait les églises que lorsqu’elles servaient de forteresses aux fascistes. En réalité les églises furent saccagées partout, comme de juste, parce qu’on avait parfaitement bien compris que l’Église espagnole était partie intégrante dans la combine capitaliste. En l’espace de six mois en Espagne, je n’ai vu que deux églises intactes, et jusqu’aux environs de juillet 1937 aucune église, à l’exception de deux ou trois temples protestants de Madrid, ne reçut l’autorisation de rouvrir et de célébrer les offices.
Mais, somme toute, il ne s’est agi que d’un commencement de révolution, de rien d’achevé. Même au moment où les ouvriers, en Catalogne à coup sûr et peut-être ailleurs, eurent le pouvoir de le faire, ils ne supprimèrent pas, ni ne changèrent complètement le gouvernement. Évidemment ça leur était difficile, à l’heure où Franco était en train d’enfoncer la porte, et tandis qu’ils avaient à leurs côtés des couches de la classe moyenne. Le pays était dans un état transitoire susceptible soit de se développer dans le sens du socialisme, soit de redevenir une république capitaliste ordinaire. Les paysans étaient en possession de la plus grande partie de la terre et il était probable qu’ils la conserveraient, à moins que Franco ne triomphât. Toutes les grandes industries avaient été collectivisées et, en définitive, ou elles le demeureraient ou le capitalisme serait réintroduit, suivant que tel ou tel groupement prendrait le pouvoir. Dans les premiers temps, et le gouvernement central et la Généralité de Catalogne (le gouvernement catalan à demi autonome) pouvaient nettement être considérés comme représentant la classe ouvrière. Le gouvernement avait à sa tête Caballero, socialiste de l’aile gauche, et il comprenait des ministres qui représentaient l’U.G.T. (la centrale syndicale socialiste) et la C.N.T. (la centrale contrôlée par les anarchistes). La Généralité de Catalogne fut, un temps, remplacée en fait par un comité de Défense antifasciste {12} , formé en majeure partie de délégués des syndicats. Par la suite, ce comité de Défense fut dissous et la Généralité reconstituée de manière à représenter les centrales syndicales et les différents partis de gauche. Mais toutes les fois qu’ultérieurement l’on rebattit les cartes gouvernementales, il en résulta une évolution vers la droite. D’abord ce fut le P.O.U.M. qui fut chassé de la Généralité ; six mois plus tard Caballero fut remplacé par Negrín, socialiste de l’aile droite ; peu de temps après, la C.N.T. fut éliminée du gouvernement ; finalement, un an après le début de la guerre et de la révolution, il restait un gouvernement composé entièrement de socialistes de l’aile droite, de libéraux et de communistes.
Le glissement général vers la droite date à peu près d’octobre-novembre 1936, du moment où l’U.R.S.S. commença de fournir des armes au gouvernement et où le pouvoir commença à passer des anarchistes aux communistes. La Russie et le Mexique exceptés, aucun pays n’avait eu assez de respect humain pour
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