Hommage à la Catalogne
vigilants et (comme je l’ai indiqué dans le chapitre IX) d’éviter autant que possible de tirer. La Batalla également publia des instructions d’après lesquelles il n’était permis à aucune troupe de quitter le front {18} . Autant qu’on en peut juger, je dirai que la responsabilité du P.O.U.M. se borne à avoir engagé tout le monde à rester sur les barricades, et probablement à avoir persuadé un certain nombre de gens d’y rester plus longtemps qu’ils ne l’eussent fait sans cela. Ceux qui furent en contact personnel avec les leaders du P.O.U.M. à cette date (je ne le fus pas moi-même) m’ont dit qu’à la vérité ceux-ci étaient consternés par toute l’affaire, mais qu’ils avaient le sentiment qu’ils devaient y prendre part. Après coup, naturellement, on tira comme toujours parti de tout cela politiquement. Gorkin, l’un des leaders du P.O.U.M., alla même jusqu’à parler, un peu plus tard, des « jours glorieux de mai ». Du point de vue de la propagande, cela a peut-être été une bonne chose ; il est certain que les effectifs du P.O.U.M. s’accrurent durant ce peu de temps qui s’écoula entre les événements de mai et sa suppression. Mais au point de vue tactique, ce fut probablement une erreur d’appuyer le tract des Amis de Durruti, de ce groupement très restreint et normalement hostile au P.O.U.M. Vu la surexcitation générale et tout ce que l’on disait dans l’un et l’autre camp, ce tract ne voulait rien dire de plus, en réalité, que « restez aux barricades » ; mais en semblant l’approuver, tandis que Solidaridad Obrera , le journal anarchiste, le désavouait, les leaders du P.O.U.M. facilitèrent la tâche à la presse communiste pour prétendre par la suite que les troubles avaient été une sorte d’insurrection fomentée uniquement par le P.O.U.M. Toutefois nous pouvons être persuadés que la presse communiste aurait, de toute manière, trouvé moyen de le prétendre. Ce n’était rien en comparaison des accusations qui furent lancées, et avant et après, sur de plus faibles apparences. Les leaders de la C.N.T. ne gagnèrent pas grand chose par leur attitude plus prudente ; on les loua de leur loyalisme, mais, dès que l’occasion s’en présenta, on les évinça du gouvernement et de la Généralité.
Autant qu’on en peut juger d’après ce que disaient les gens sur le moment, il n’y eut nulle part un véritable dessein révolutionnaire. On trouvait derrière les barricades surtout de simples travailleurs de la C.N.T. et, parmi eux, probablement quelques travailleurs de l’U.G.T. ; et ce qu’ils cherchaient ce n’était pas à renverser le gouvernement, mais à résister à ce qu’ils considéraient, à tort ou à raison, comme une attaque de la police. Ce fut une action essentiellement défensive que la leur et je doute fort qu’on soit en droit de la dépeindre, ainsi que l’ont fait presque tous les journaux étrangers, comme une « insurrection ». Car une « insurrection » implique une action agressive et un plan précis. À plus exactement parler, ce fut une émeute – une émeute très sanglante parce que dans les deux camps on avait des armes à feu en main et qu’on était disposé à s’en servir.
Mais sur le chapitre des intentions, que faut-il penser de l’autre camp ? S’il ne s’est pas agi d’un coup d’État anarchiste, s’est-il agi peut-être d’un coup d’État communiste – d’un effort concerté pour écraser d’un seul coup le pouvoir de la C.N.T. ?
Je ne le crois pas, bien que certains faits pourraient amener à pareil soupçon. Il est significatif que quelque chose de tout à fait semblable (la saisie du Central téléphonique par la police armée agissant d’après des ordres reçus de Barcelone) se soit produit à Tarragone deux jours plus tard. Et à Barcelone le raid sur le Central téléphonique ne fut pas un acte isolé. En différentes parties de la ville des détachements de gardes civils et de membres du P.S.U.C. s’emparèrent de locaux situés en des points stratégiques, sinon exactement juste avant le déclenchement des troubles, en tout cas avec une surprenante promptitude. Mais ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que cela s’est passé en Espagne, et non en Angleterre. Barcelone est une ville ayant dans son histoire un long passé de guerres de rues. En de tels endroits les choses vont vite, les factions sont toutes constituées, chacun connaît la
Weitere Kostenlose Bücher