Hommage à la Catalogne
une justice à rendre que de dire qu’on ne faisait guère la chasse à l’hérétique dans le P.O.U.M., trop peu peut-être, étant donné les circonstances ; à condition de n’être pas pro-fasciste, personne n’était inquiété pour soutenir des opinions hétérodoxes. J’ai passé une bonne partie de mon temps dans les milices à critiquer énergiquement la « ligne » du P.O.U.M. sans que cela m’ait jamais causé d’ennuis. On n’exerçait même pas de pression d’aucune sorte sur quelqu’un pour le faire devenir membre politique du parti ; ce qu’étaient pourtant, je crois, la plupart des miliciens. Je n’ai, quant à moi, jamais adhéré au parti – j’en ai d’ailleurs éprouvé du regret plus tard, lors de la suppression du P.O.U.M.
APPENDICE II
CE QUE FURENT LES TROUBLES DE MAI À BARCELONE
Si la controverse politique ne vous intéresse pas, non plus que cette foule de partis et sous-partis aux noms embrouillants (à peu près comme ceux des généraux dans une guerre chinoise), alors, je vous en prie, dispensez-vous de lire ce qui va suivre. Cela répugne d’avoir à entrer dans tous les détails de la polémique entre les partis ; c’est comme si l’on plongeait dans un puisard d’aisances. Mais il est nécessaire d’essayer d’établir la vérité, dans toute la mesure du possible. Cette sordide bagarre dans une ville lointaine a plus d’importance qu’il ne pourrait sembler à première vue.
Il ne sera jamais possible de donner un compte rendu des combats de Barcelone absolument exact et impartial, parce que les documents nécessaires font défaut. Les historiens futurs n’auront rien sur quoi s’appuyer, à part une masse d’écrits de propagande et d’attaques partisanes. J’ai moi-même peu de données, en dehors de ce que j’ai vu de mes propres yeux et de ce que m’ont appris d’autres témoins oculaires que je crois dignes de foi. Il m’est cependant possible de réfuter quelques-uns des mensonges les plus flagrants et d’aider à tirer les choses au clair.
Premièrement, que se passa-t-il réellement ?
Depuis un certain temps déjà la situation était tendue dans toute la Catalogne. J’ai renseigné le lecteur (dans l’Appendice I) sur le conflit entre les communistes et les anarchistes. Aux environs de mai 1937 les choses en étaient arrivées au point qu’une issue violente paraissait inévitable. La cause directe de la friction fut l’ordre donné par le gouvernement de rendre toutes les armes privées, dans le temps même où il décidait la création d’une force de police « non politique » et puissamment armée, dont devraient être exclus les membres des syndicats. Tout le monde comprit clairement la signification de telles mesures et que, de toute évidence, le prochain coup consisterait à prendre possession de quelques-unes des industries de base contrôlées par la C.N.T. Ajoutez à cela le ressentiment accumulé dans la classe ouvrière du fait du contraste croissant de richesse et de pauvreté, et le vague sentiment général que la révolution avait été sabotée. Beaucoup de gens furent agréablement surpris que le 1 er mai se fût passé sans émeutes. Le 3 mai, le gouvernement décida de prendre possession du Central téléphonique dont le fonctionnement avait été assuré depuis le début de la guerre principalement par des travailleurs membres de la C.N.T. ; on allégua qu’il marchait mal et que des communications officielles étaient interceptées. Salas, le chef de la police (en cela dépassa-t-il ou non ses instructions ?) envoya trois camions de gardes civils armés saisir le Central, tandis que des policiers également armés, mais en civil, faisaient dégager les rues avoisinantes. À peu près à la même heure, des détachements de gardes civils s’emparèrent d’autres immeubles situés en des points stratégiques. Quelle qu’ait pu être l’intention véritable, tout le monde crut que c’était là le signal d’une attaque générale de la C.N.T. par les gardes civils et le P.S.U.C. (communistes et socialistes). Le bruit courut dans toute la ville qu’on attaquait les locaux de la classe ouvrière, des anarchistes armés descendirent dans la rue, le travail s’arrêta et la lutte s’engagea immédiatement. Cette nuit-là et le lendemain matin l’on construisit par toute la ville des barricades, et la lutte se poursuivit sans trêve jusqu’au matin du 6 mai. Toutefois ce fut
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