Hommage à la Catalogne
du gouvernement avaient peint au pochoir : « Il nous faut une armée populaire », et à la radio et dans la presse communiste on ne cessait de brocarder, et parfois de façon très venimeuse, les milices, qu’on représentait comme mal aguerries, indisciplinées, etc. ; l’armée populaire, elle, était toujours dépeinte comme étant « héroïque ». On eût dit, à en croire presque toute cette propagande, qu’il y avait quelque chose de déshonorant à être parti au front comme volontaire et quelque chose de louable à avoir attendu d’être enrôlé par la conscription. N’empêche que pendant tout ce temps c’étaient les milices qui tenaient le front, cependant que l’armée populaire s’aguerrissait à l’arrière, mais c’était là un fait dont les journaux étaient tenus de parler le moins possible. On ne faisait plus défiler dans les rues de la ville, tambours battants et drapeaux déployés, les détachements de milices retournant au front. On les escamotait en les faisant partir furtivement, par train ou par camions, à cinq heures du matin. Dans le même moment, on commençait à envoyer au front quelques rares détachements de l’armée populaire ; et eux, comme nous naguère, étaient promenés à travers toute la ville en grande pompe ; mais même eux, par suite de l’attiédissement général de l’intérêt pris à la guerre, étaient accueillis avec relativement peu d’enthousiasme. Le fait que les troupes des milices étaient également, sur le papier, troupes de l’armée populaire, était habilement exploité dans la propagande par la presse. Rien de louable n’arrivait qui ne fût automatiquement porté à l’actif de l’armée populaire, tandis que toute faute, c’était aux milices qu’on la faisait endosser. Il arriva parfois à une même troupe de recevoir des félicitations en sa qualité d’unité de l’armée populaire et des reproches en sa qualité d’unité des milices.
Mais, en dehors de cela, il y avait un changement saisissant dans l’atmosphère sociale – ce qu’il est difficile de comprendre si l’on n’a pas soi-même vécu tout cela. Lorsque j’étais arrivé pour la première fois à Barcelone, j’avais cru que c’était une ville où il n’existait guère de distinctions de classe ni de grandes différences de richesse. C’était bien, en tout cas, ce qu’elle avait l’air d’être. Les vêtements « chics » y étaient devenus une exception, personne ne faisait de courbettes ni n’acceptait de pourboire ; les garçons de restaurant, les bouquetières, les cireurs de bottes vous regardaient bien en face et vous appelaient « camarade ». Je n’avais pas saisi qu’il y avait là surtout un mélange d’espoir et de camouflage. La classe ouvrière croyait en une révolution qui avait été commencée mais jamais consolidée, et les bourgeois étaient apeurés et se travestissaient momentanément en ouvriers. Dans les premiers mois de la révolution, il doit bien y avoir eu plusieurs milliers de personnes qui, de propos délibéré, revêtirent des salopettes et clamèrent les mots d’ordre révolutionnaires, histoire de sauver leur peau. À présent, tout revenait à l’état normal. Les restaurants et les hôtels élégants étaient remplis de gens riches qui dévoraient des repas coûtant cher, tandis que la population ouvrière se trouvait devant une hausse considérable du prix des denrées alimentaires, sans recevoir aucune augmentation de salaire y correspondant. En plus de la cherté de tout, il y avait périodiquement pénurie de ceci ou de cela, ce dont, naturellement, le pauvre souffrait toujours plus que le riche. Les restaurants et les hôtels semblaient n’avoir guère de difficulté à se procurer tout ce qu’ils voulaient ; mais, dans les quartiers ouvriers, les queues pour le pain, l’huile d’olive et les autres choses de première nécessité étaient longues de plusieurs centaines de mètres. Naguère, dans Barcelone, j’avais été frappé par l’absence de mendiants ; ils étaient légion à présent. À la porte des charcuteries, en haut des Ramblas, on voyait continuellement des bandes d’enfants pieds nus qui restaient là à attendre que quelqu’un sortît, et alors ils se pressaient autour en demandant à grands cris des bribes de nourriture. En parlant, on n’employait plus les formules « révolutionnaires ». Il était rare, à présent, d’être tutoyé et appelé
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