Hommage à la Catalogne
sentiment de rivalité et de haine politiques. Il n’y avait pas à s’y méprendre. Des gens de toutes nuances disaient, envahis par un mauvais pressentiment : « Il ne va pas tarder à y avoir de la casse. » Le danger était patent et facile à comprendre. Il résidait dans l’antagonisme entre ceux qui voulaient faire progresser la révolution et ceux qui voulaient l’enrayer ou l’empêcher – autrement dit, dans l’antagonisme entre anarchistes et communistes. Politiquement, il n’y avait plus à présent d’autre pouvoir que celui du P.S.U.C. et de ses alliés libéraux. Mais en face de ce pouvoir il y avait la force irrésolue des membres de la C.N.T., moins bien armés et sachant moins bien ce qu’ils voulaient que leurs adversaires, mais puissants par leur nombre et par leur prédominance dans plusieurs industries-clefs. Avec une telle démarcation des forces, il était fatal qu’il y eût conflit. Du point de vue des membres de la Généralité soumise à l’influence dirigeante du P.S.U.C., la première chose à faire, nécessairement, pour consolider leur position, c’était de désarmer les ouvriers de la C.N.T. Comme je l’ai déjà fait observer, la mesure prise pour dissoudre les milices de partis était au fond une manœuvre à cette fin. Simultanément on avait remis en activité les forces de police armées d’avant-guerre, gardes civils et autres, et on était en train de les renforcer et de les armer puissamment. Cela ne pouvait avoir qu’une seule signification. Les gardes civils, en particulier, étaient une force de gendarmerie du type européen courant qui, depuis bientôt un siècle, avaient servi de gardes du corps à la classe possédante. Sur ces entrefaites, on avait rendu un arrêt selon lequel toutes les armes détenues par des particuliers devraient être livrées. Naturellement cet ordre était resté lettre morte ; il était clair qu’on ne pourrait prendre leurs armes aux anarchistes que par la force. Pendant tout ce temps le bruit courait, toujours de façon vague et contradictoire par suite de la censure des journaux, qu’un peu partout en Catalogne des petits conflits éclataient. En plusieurs endroits les forces de police armées avaient attaqué les forteresses des anarchistes. À Puigcerdà, à la frontière française, on envoya une troupe de carabiniers s’emparer du bureau de la douane, sur lequel les anarchistes avaient eu jusque-là la haute main, et Antonio Martín, un anarchiste connu, fut tué. Des incidents analogues s’étaient produits à Figueras et, je crois, à Tarragone. Dans Barcelone, il y avait eu, à en croire des renseignements officieux, une série de bagarres dans les faubourgs ouvriers. Des membres de la C.N.T. et de l’U.G.T. depuis quelque temps s’entre-assassinaient ; à plusieurs reprises les meurtres avaient été suivis de funérailles colossales, provocantes, organisées dans l’intention bien délibérée d’attiser les haines politiques. Peu de temps auparavant, un membre de la C.N.T. avait été assassiné, et c’est par centaines de mille que la C.N.T. avait suivi son enterrement. À la fin d’avril, juste au moment de mon arrivée à Barcelone, Roldan Cortada, membre éminent de l’U.G.T., fut assassiné, probablement par quelqu’un de la C.N.T. Le gouvernement donna l’ordre à tous les magasins de fermer et organisa un immense cortège funèbre, formé en grande partie des troupes de l’armée populaire, qui, en un point donné, mit deux heures à défiler. De la fenêtre de l’hôtel je le regardai passer sans enthousiasme. Il sautait aux yeux que ces prétendues funérailles étaient tout bonnement un déploiement de forces ; il suffirait d’un rien pour qu’il y ait effusion de sang. Cette même nuit nous fûmes réveillés, ma femme et moi, par le bruit d’une fusillade venant de la place de Catalogne, à cent ou deux cents mètres de là. Nous apprîmes le lendemain que c’était un membre de la C.N.T. qui avait été supprimé, probablement par quelqu’un de l’U.G.T. Bien entendu, il était tout à fait possible que tous ces meurtres eussent été commis par des agents provocateurs. On peut aussitôt apprécier l’attitude de la presse capitaliste étrangère en face des dissensions communo-anarchistes en remarquant qu’elle fit du tapage autour du meurtre de Roldan Cortada, mais passa sous silence le meurtre en réponse.
Le 1 er mai approchait et il était question d’une
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