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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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« camarade » par des inconnus ; l’habitude était revenue de dire Señor et Usted. Buenos días commençait à remplacer Salud. Les garçons de restaurant avaient réintégré leurs chemises empesées, et les chefs de rayon courbaient l’échine comme à l’accoutumée. Nous entrâmes, ma femme et moi, dans une bonneterie sur les Ramblas, pour acheter quelques paires de bas. Le vendeur s’inclina en se frottant les mains, de ce geste qui leur était habituel il y a vingt ou trente ans, mais qu’on ne leur voit plus faire de nos jours, même en Angleterre. De façon détournée et à la dérobée, on en revenait à l’usage du pourboire. L’ordre avait été donné aux patrouilles d’ouvriers de se dissoudre, et de nouveau l’on voyait dans les rues les forces de police d’avant-guerre. Il en résultait, entre autres choses, que les music-halls et les bordels de première classe, dont beaucoup avaient été fermés par les patrouilles d’ouvriers, avaient immédiatement rouvert {3} . Ce qui se passait à propos du manque de tabac offrait un exemple de peu d’importance mais significatif de la manière dont tout était à présent orienté pour avantager les classes riches. Pour la masse du peuple il était si impossible de se procurer du tabac que l’on vendait dans les rues des cigarettes bourrées de lamelles de bois de réglisse. J’en ai fait l’essai, une seule fois. (Beaucoup de gens en faisaient l’essai une fois, mais pas deux.) Franco occupait les Canaries, où est cultivé tout le tabac espagnol. Donc, du côté gouvernemental, on ne disposait plus que des stocks de tabac existant avant la guerre. Ils s’écoulaient si rapidement que les débits de tabac n’ouvraient plus qu’une fois par semaine ; après avoir fait la queue pendant deux bonnes heures, on pouvait, si l’on avait de la chance, arriver à obtenir un paquet de tabac de trois quarts d’once {4} . En principe le gouvernement interdisait l’achat de tabac à l’étranger, parce que c’était diminuer les réserves d’or, qu’il fallait absolument garder pour les achats d’armes et de choses de première nécessité. Dans la pratique il y avait une fourniture régulière de cigarettes étrangères de contrebande des marques les plus chères, des Lucky Strike par exemple, qui offraient aux mercantis une occasion magnifique de bénéfices excessifs. On pouvait acheter les cigarettes de contrebande au vu et au su de tous dans les hôtels chics et à peine moins ouvertement dans les rues, à condition de pouvoir payer un paquet dix pesetas (un jour de solde de milicien). La contrebande se faisant à l’intention des gens riches, on fermait les yeux sur elle. Si vous aviez suffisamment d’argent, il n’y avait rien que vous ne pussiez vous procurer en n’importe quelle quantité, à l’exception parfois du pain qui était rationné de façon assez stricte. Cette exposition au grand jour du contraste de la richesse et de la pauvreté eût été impossible quelques mois auparavant, lorsque la classe ouvrière était encore, ou semblait être, au pouvoir. Mais ce serait manquer à l’impartialité que d’imputer cela uniquement au fait que le pouvoir politique était passé en d’autres mains. Cela tenait aussi en partie à la sécurité dans laquelle on vivait à Barcelone, où il n’y avait presque rien, à part un raid aérien de temps à autre, pour faire penser à la guerre. Tous ceux qui s’étaient trouvés à Madrid disaient que là-bas il en allait tout autrement. À Madrid, le danger commun contraignait les gens de presque toutes catégories à un certain sentiment de camaraderie. Un homme, l’air bien nourri, en train de manger des cailles tandis que des enfants mendient du pain est un spectacle révoltant, mais vous avez moins de chances de voir cela en un endroit où l’on entend tonner le canon.
    Un jour ou deux après les combats de rues, je me rappelle être passé dans l’une des plus belles rues et de m’être trouvé devant une confiserie dont la devanture était pleine de pâtisseries et de bonbons de la qualité la plus raffinée, à des prix renversants. Un magasin dans le genre de ceux que l’on voit dans Bond Street ou rue de la Paix. Et je me souviens d’avoir éprouvé un sentiment de vague horreur et de stupéfaction en voyant qu’on pouvait encore gaspiller l’argent à de telles choses dans un pays frappé par la guerre et affamé. Mais Dieu me préserve d’affecter, pour ma

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