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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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n’est pas encore guéri. Je vais retourner à mon hôtel et y rester. »
    Il rentra à son hôtel, mais malheureusement (combien il importe, dans la guerre de rues, de bien connaître la géographie politique locale !) cet hôtel était situé dans la partie de la ville sous la domination des gardes civils. Il y eut une descente dans l’hôtel et Thompson fut arrêté, jeté en prison et gardé huit jours dans une cellule si bondée de gens que personne n’avait la place de s’y coucher. Il y eut beaucoup de cas semblables. De nombreux étrangers aux antécédents politiques douteux passaient leur temps à fuir, la police sur leur trace, et ils vivaient dans la crainte constante d’une dénonciation. C’était pire encore pour les Italiens et les Allemands, qui n’avaient pas de passeports et étaient généralement recherchés par les agents secrets du gouvernement de leur propre pays. S’ils étaient arrêtés, ils étaient exposés à être expulsés, refoulés en France, ce qui risquait d’entraîner leur renvoi en Italie ou en Allemagne, où Dieu sait quelles horreurs les attendaient. Une ou deux femmes étrangères régularisèrent à la hâte leur situation en « épousant » des Espagnols. Une jeune Allemande qui n’avait pas de papiers du tout, dépista la police en se faisant passer durant plusieurs jours pour la maîtresse d’un homme. Je revois l’expression de honte et de détresse que prit le visage de cette pauvre enfant quand le hasard me fit me heurter à elle juste au moment où elle sortait de la chambre à coucher de cet homme ; bien entendu, elle n’était pas sa maîtresse, mais elle pensait que certainement je croyais qu’elle l’était. Et l’on avait tout le temps le sentiment abominable qu’on allait peut-être être dénoncé à la police secrète par quelqu’un, jusqu’alors votre ami. Le long cauchemar des troubles, le fracas, la privation de nourriture et de sommeil, le mélange de tension et d’ennui à rester assis sur le toit en me demandant si d’une minute à l’autre je n’allais pas être tué ou obligé de tuer, m’avaient mis les nerfs à vif. J’en étais arrivé au point de saisir mon revolver dès que j’entendais une porte battre. Le samedi matin une fusillade éclata brusquement au-dehors et tout le monde se mit à crier : « Voilà que ça recommence ! » Je me précipitai dans la rue : ce n’étaient que des gardes d’assaut en train de tuer un chien enragé. Aucun de ceux qui se sont trouvés à Barcelone à ce moment-là ou durant les quelques mois suivants ne pourra oublier cette atmosphère abominable engendrée par la peur, le soupçon, la haine, la vue des journaux censurés, les prisons bondées, les queues qui n’en finissaient pas aux portes des magasins d’alimentation et les bandes d’hommes armés rôdant par la ville.
    J’ai essayé de donner quelque idée de ce que l’on éprouvait à se trouver mêlé aux troubles de Barcelone, mais je doute d’avoir réussi à faire comprendre toute l’étrangeté de cette période. L’une des choses que je trouve gravées dans ma mémoire quand je me reporte à ce temps-là, ce sont les rencontres fortuites que l’on faisait alors, les brusques aperçus que l’on avait de non-combattants pour qui toute l’affaire n’était que vacarme dénué de signification. Je me souviens d’une femme élégante que je vis flâner sur les Ramblas, un sac à provisions au bras et tenant en laisse un caniche blanc, tandis que la fusillade faisait rage une ou deux rues plus loin. On peut se demander si elle était sourde. Et cet homme à qui je vis prendre ses jambes à son cou pour traverser la place de Catalogne complètement déserte, en brandissant un mouchoir blanc dans chaque main. Et ce groupe important de gens, tous vêtus de noir, qui essayèrent pendant près d’une heure de traverser la place de Catalogne sans jamais y parvenir. Chaque fois qu’ils montraient le bout du nez au coin de la rue transversale, les mitrailleurs du P.S.U.C., dans l’hôtel Colón, ouvraient le feu sur eux et les faisaient reculer ; je me demande pourquoi du reste, car il était visible que ces gens n’étaient pas armés. J’ai pensé depuis que ce devait être un cortège funèbre. Et ce petit homme qui servait de gardien au musée au-dessus du Poliorama et qui paraissait considérer toute l’affaire comme une excellente occasion d’avoir de la compagnie. Il était si content que des Anglais

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