Hommage à la Catalogne
plusieurs mois dans les bureaux du P.O.U.M., puis s’était engagé dans les milices à l’arrivée des autres membres de l’I.L.P., étant bien entendu qu’il ferait trois mois de front avant de rentrer en Angleterre pour participer à une tournée de propagande. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que nous pûmes découvrir le motif de son arrestation. On le gardait incomunicado (au secret), si bien que personne, pas même un avocat, ne pouvait le voir. En Espagne il n’existe pas – en tout cas, pas dans la pratique – d’ habeas corpus , et vous pouvez être gardé en prison durant des mois d’affilée sans même être inculpé, a fortiori sans passer en jugement. Finalement nous apprîmes, grâce à un prisonnier relâché, que Smillie avait été arrêté pour « port d’armes ». Les « armes » en question étaient, je me trouvais le savoir, deux grenades à main d’un type grossier utilisé au début de la guerre, que Smillie emportait en Angleterre, ainsi que quelques éclats d’obus et d’autres souvenirs, pour les montrer au cours de ses conférences. Les charges et les amorces en avaient été retirées, ces grenades n’étaient plus que de simples cylindres d’acier parfaitement inoffensifs. Il était évident que ce n’était là qu’un prétexte et qu’on avait arrêté Smillie à cause de ses rapports bien connus avec le P.O.U.M. Les troubles de Barcelone venaient juste de prendre fin et les autorités étaient, à ce moment-là, extrêmement soucieuses de ne laisser sortir d’Espagne personne qui fût en mesure de démentir la version officielle. Aussi risquait-on d’être arrêté à la frontière sous des prétextes plus ou moins futiles. Il est très possible qu’on n’ait d’abord eu l’intention que de retenir Bob Smillie quelques jours seulement. L’ennui, en Espagne, c’est qu’une fois que vous êtes en prison, en général vous y restez, qu’il soit ou non question de passer en jugement.
Nous étions toujours à Huesca, mais on nous avait postés plus à droite, en face de la redoute fasciste dont, quelques semaines auparavant, nous nous étions pour un moment emparés. Je faisais maintenant fonction de teniente (ce qui correspond, je crois, au grade de sous-lieutenant dans l’armée britannique) ; j’avais sous mon commandement une trentaine d’hommes, Anglais et Espagnols. On m’avait proposé pour la nomination au grade d’officier de l’active, mais l’obtenir c’était une autre histoire. Peu de temps auparavant encore, les officiers des milices refusaient de recevoir un grade officiel, car cela signifiait un supplément de solde et était en contradiction avec les principes égalitaires des milices ; mais ils étaient à présent obligés d’accepter. La nomination de Benjamin au grade de capitaine avait déjà paru à l’Officiel, et Kopp était en passe d’être nommé chef de bataillon. Le gouvernement ne pouvait évidemment pas se passer des officiers des milices, mais à aucun il ne conférait de grade supérieur à celui de chef de bataillon, probablement afin de réserver les grades plus élevés aux officiers de l’armée régulière et aux nouveaux officiers sortant de l’École de guerre. Par suite, il y avait dans notre division, la 29 e , et sûrement dans beaucoup d’autres, un curieux état de choses provisoire : le commandant de la division, les commandants des brigades et les commandants des bataillons avaient tous le même grade, celui de chef de bataillon.
Il ne se passait pas grand-chose au front. La bataille engagée aux alentours de la route de Jaca s’était apaisée et ne reprit que vers la mi-juin. Dans notre position, le principal ennui, c’étaient les canardeurs. Les tranchées fascistes étaient à plus de cent cinquante mètres, mais elles étaient situées plus haut que les nôtres et nous commandaient sur deux côtés, notre front formant un saillant en angle droit. Le coin du saillant était un endroit dangereux dont il avait toujours fallu payer le passage par des morts et des blessés. De temps à autre les fascistes nous tiraient dessus avec des grenades à fusil ou d’autres engins analogues. Elles faisaient un fracas épouvantable et étaient propres à vous faire perdre votre sang-froid parce qu’on ne les entendait pas arriver à temps pour pouvoir esquiver, mais elles ne représentaient pas un grand danger : le trou qu’elles creusaient dans le sol avait un diamètre pas plus
Weitere Kostenlose Bücher