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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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de leurs poches tout le tabac qu’ils avaient, me le donnèrent et s’enfuirent avant que j’aie pu le leur redonner. Que cela était bien espagnol ! Je me rendis compte peu après qu’on ne pouvait acheter de tabac nulle part en ville, et que ce qu’ils m’avaient donné c’était la ration d’une semaine.
    Au bout de quelques jours je fus en état de me lever et de me promener, le bras en écharpe. Je ne sais pourquoi il me faisait beaucoup plus mal lorsqu’il pendait. Je souffrais aussi beaucoup, pour le moment, de douleurs internes, suites du mal que je m’étais fait en tombant, et j’avais presque complètement perdu la voix, mais pas un seul instant je n’ai souffert de ma blessure par balle elle-même. Il paraît en être généralement ainsi. Le coup violent d’une balle produit une anesthésie locale ; un éclat d’obus ou de bombe, qui a des bords déchiquetés et frappe habituellement avec moins de force, doit provoquer une souffrance infernale. Dans les terrains de l’hôpital il y avait un jardin agréable, qui comprenait un bassin où nageaient des poissons rouges et quelques petits poissons d’un gris noirâtre : des ablettes, je crois. Je restais assis à les observer durant des heures. La manière dont les choses se passaient à Lérida me donnait un aperçu de l’organisation d’un hôpital sur le front d’Aragon ; j’ignore s’il en allait de même sur les autres fronts. À certains égards, c’étaient de très bons hôpitaux. Les médecins étaient des hommes capables, et il semblait ne pas y avoir insuffisance de produits pharmaceutiques et de matériel d’équipement sanitaire. Mais il y avait deux graves défauts qui furent cause, j’en suis sûr, que des centaines ou des milliers d’hommes sont morts, qu’on eût pu sauver.
    Il y avait d’abord le fait que tous les hôpitaux à proximité de la première ligne servaient plus ou moins de centres d’évacuation des blessés. Aussi n’y recevait-on pas les soins d’un véritable traitement, à moins d’être trop gravement blessé pour être transportable. En principe, la plupart des blessés étaient directement envoyés à Barcelone ou à Tarragone, mais, par suite du manque de moyens de transport, ils mettaient souvent huit ou dix jours pour y parvenir. On les faisait poireauter à Sietamo, Barbastro, Monzón, Lérida, et dans bien d’autres endroits encore, et pendant tout ce temps-là ils ne recevaient aucun soin approprié à leur état, c’est tout juste si parfois on leur renouvelait leur pansement. On emmaillotait des hommes ayant d’affreuses blessures par éclats d’obus, des os brisés, etc., dans une sorte de revêtement fait de bandes de pansement et de plâtre de Paris ; on écrivait au crayon, sur le dessus, une description de la blessure, et en règle générale on n’enlevait ce revêtement qu’à l’arrivée à Barcelone ou à Tarragone, dix jours plus tard. Il était à peu près impossible de faire examiner sa blessure en cours de route ; les docteurs, trop peu nombreux, ne pouvaient suffire à tout le travail et ils ne faisaient que passer rapidement près de votre lit en vous disant : « Mais oui, mais oui, on vous soignera à Barcelone. » Constamment le bruit courait qu’un train sanitaire partirait pour Barcelone mañana. L’autre défaut était le manque d’infirmières capables. Apparemment il n’existait pas en Espagne d’infirmières diplômées, peut-être parce qu’avant la guerre ce travail était fait surtout par des religieuses. Je n’ai aucun sujet de plainte contre les infirmières espagnoles, elles m’ont toujours traité avec la plus grande gentillesse, mais il n’est pas douteux qu’elles étaient d’une désastreuse ignorance. Toutes savaient comment prendre une température et quelques-unes savaient faire un pansement, mais à cela se bornait leur compétence. Il en résultait que des hommes trop malades pour se suffire étaient souvent honteusement négligés. Ces infirmières laissaient facilement un homme rester constipé toute une semaine, et rarement elles lavaient ceux qui étaient trop faibles pour se laver eux-mêmes. Je revois un pauvre diable avec un bras cassé me dire qu’il était resté trois semaines sans avoir le visage lavé. Elles laissaient même les lits sans les faire plusieurs jours de suite. La nourriture était très bonne dans tous les hôpitaux – trop bonne, à la vérité. Plus encore en Espagne que partout

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