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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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bois hâtivement construits, où d’ordinaire les blessés n’étaient gardés que quelques heures en attendant d’être dirigés sur Barbastro ou Lérida. J’étais hébété par la morphine, mais je souffrais encore beaucoup, quasiment incapable de bouger et avalant constamment du sang. Un trait caractéristique des méthodes d’un hôpital espagnol : alors que j’étais dans cet état, les infirmières inexpérimentées essayèrent de faire descendre de force dans ma gorge le repas réglementaire de l’hôpital – un repas comme pour quatre, composé de soupe, d’œufs, de ragoût très gras, etc., et elles parurent toutes surprises que je ne m’y prêtasse pas. Je demandai une cigarette, mais on était justement dans une période où le tabac manquait et il n’y avait pas une seule cigarette dans l’endroit. Ne tardèrent pas à apparaître à mon chevet deux camarades qui avaient obtenu la permission de quitter le front quelques heures.
    « Salut ! Tu es encore de ce monde, hein ? À la bonne heure ! Nous voulons ta montre et ton revolver, et ta lampe électrique. Et ton couteau, si tu en as un. »
    Et ils s’éclipsèrent en emportant tout ce que je possédais de transportable. C’était l’habitude chaque fois qu’un homme était blessé : tout ce qu’il avait était aussitôt réparti ; à juste raison, car, au front, des choses telles que montres, revolvers, etc., étaient précieuses, et si elles s’en allaient avec le fourbi d’un blessé, on pouvait être sûr qu’elles seraient volées quelque part en cours de route.
    Vers le soir, il était arrivé, un à un, suffisamment de blessés et de malades pour remplir quelques voitures d’ambulance et l’on nous expédia à Barbastro. Quel voyage ! On avait accoutumé de dire que dans cette guerre l’on pouvait s’en tirer si l’on était blessé aux extrémités, mais que l’on mourait toujours d’une blessure au ventre. Je comprenais à présent pourquoi. Personne en danger d’hémorragie interne ne pouvait survivre à des kilomètres de cahotage sur ces routes empierrées en cailloutis, qui avaient été défoncées par le passage des lourds camions et n’avaient jamais été réparées depuis le début de la guerre. Et pan ! et vlan ! et patatras ! les heurts se succédaient comme une volée de coups ! Cela me ramenait au temps de ma petite enfance et à cet affreux supplice nommé « Montagnes russes » à l’Exposition de White City. On avait oublié de nous attacher sur nos civières. J’avais assez de force dans mon bras gauche pour me cramponner, mais un pauvre malheureux fut culbuté au sol et dut souffrir mort et passion. Un autre, qui pouvait marcher et qui était assis dans un coin de la voiture d’ambulance, la souilla toute en vomissant. L’hôpital, à Barbastro, était archi-comble, les lits si rapprochés qu’ils se touchaient presque. Le lendemain matin, on embarqua un certain nombre d’entre nous dans un train sanitaire à destination de Lérida.
    Je suis resté à Lérida cinq ou six jours. C’était un grand hôpital où se trouvaient mêlés au petit bonheur malades du front, blessés et malades civils ordinaires. Dans ma salle, quelques hommes avaient d’horribles blessures. Dans le lit voisin du mien se trouvait un jeune homme aux cheveux très noirs, qui souffrait de je ne sais quelle maladie et à qui on faisait prendre un médicament qui rendait son urine aussi verte que l’émeraude. Son urinal constituait l’une des curiosités de la salle. Un communiste hollandais parlant anglais, ayant entendu dire qu’il y avait un Anglais dans l’hôpital, vint me voir, se montra très amical et m’apporta des journaux anglais. Il avait été affreusement blessé au cours des combats d’octobre ; il était parvenu tant bien que mal à s’habituer à l’hôpital de Lérida et avait épousé une des infirmières. Par suite de sa blessure, l’une de ses jambes s’était atrophiée au point de n’être pas plus grosse que mon bras. Deux miliciens en permission, dont j’avais fait la rencontre pendant ma première semaine au front, vinrent voir un ami blessé et me reconnurent. C’étaient des gamins de dix-huit ans environ. Ils restèrent plantés à côté de mon lit, tout gauches, s’efforçant de trouver quelque chose à dire et n’y parvenant pas ; alors, pour me faire comprendre d’une autre manière qu’ils étaient navrés que je sois blessé, brusquement ils sortirent

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