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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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grand que celui d’un tub. La chaleur des nuits était agréable, mais durant le jour elle se faisait ardente, les moustiques devenaient un fléau et, en dépit des vêtements propres rapportés de Barcelone, nous fûmes presque aussitôt pleins de poux. À l’extérieur, dans les vergers abandonnés du no man’s land , les cerises blanchissaient sur les arbres. Il y eut deux jours de pluies torrentielles, les cagnas furent inondées, le parapet se tassa d’un pied. Il fallut ensuite passer encore bien des journées à creuser et rejeter hors de la tranchée l’argile gluante avec les misérables bêches espagnoles qui n’ont pas de manche et qui se tordent comme des cuillères d’étain.
    On nous avait promis un mortier de tranchée pour la compagnie ; je l’attendais avec impatience. La nuit, comme toujours, nous allions en patrouille, mais c’était plus dangereux qu’auparavant parce qu’il y avait dans les tranchées fascistes beaucoup plus d’hommes et parce qu’ils étaient devenus plus vigilants ; ils avaient éparpillé des bidons tout contre leur parapet, à l’extérieur, et dès qu’ils entendaient un tintement métallique, ils arrosaient avec les mitrailleuses. Dans la journée nous les canardions du no man’s land. En rampant une centaine de mètres, on pouvait gagner un fossé que de hautes herbes dissimulaient et qui commandait une brèche dans le parapet fasciste. Nous avions établi un support à fusil dans ce fossé. Si l’on avait la patience d’attendre assez longtemps, on finissait généralement par voir une silhouette kaki franchir rapidement la brèche. J’ai tiré plusieurs fois. J’ignore si j’ai jamais touché quelqu’un – c’est peu probable ; je suis très mauvais tireur, au fusil. Mais c’était assez amusant, les fascistes ne savaient pas d’où venaient les coups, et j’étais persuadé que j’en aurais un tôt ou tard. Mais « ce fut le serpent qui creva {6}  », c’est moi qui fus touché par un tireur fasciste. Cela faisait une dizaine de jours que j’étais de retour au front lorsque cela arriva. L’ensemble des impressions et sensations que l’on éprouve, lorsqu’on est atteint par une balle offre de l’intérêt et je crois que cela vaut la peine d’être décrit en détail.
    Ce fut à l’angle du parapet, à cinq heures du matin. C’était toujours là une heure dangereuse parce que nous avions le lever du jour dans le dos, et si notre tête venait à dépasser du parapet, elle se profilait très nettement sur le ciel. J’étais en train de parler aux sentinelles en vue de la relève de la garde. Soudain, au beau milieu d’une phrase, je sentis... c’est très difficile à décrire ce que je sentis, bien que j’en conserve un souvenir très vif et très net.
    Généralement parlant, j’eus l’impression d’être au centre d’une explosion. Il me sembla y avoir tout autour de moi un grand claquement et un éclair aveuglant, et je ressentis une secousse terrible – pas une douleur, seulement une violente commotion, comme celle que l’on reçoit d’une borne électrique, et en même temps la sensation d’une faiblesse extrême, le sentiment de m’être ratatiné sous le coup, d’avoir été réduit à rien. Les sacs de terre en face de moi s’enfuirent à l’infini. J’imagine que l’on doit éprouver à peu près la même chose lorsqu’on est foudroyé. Je compris immédiatement que j’étais touché, mais à cause du claquement et de l’éclair je crus que c’était un fusil tout près de moi dont le coup, parti accidentellement, m’avait atteint. Tout cela se passa en beaucoup moins d’une seconde. L’instant d’après mes genoux fléchirent et me voilà tombant et donnant violemment de la tête contre le sol, mais, à mon soulagement, sans que cela me fît mal. Je me sentais engourdi, hébété, j’avais conscience d’être grièvement blessé, mais je ne ressentais aucune douleur, au sens courant du mot.
    La sentinelle américaine à qui j’étais en train de parler s’était précipitée vers moi : « Sapristi ! Êtes-vous touché ? » Des hommes firent cercle autour de moi. On fit un tas d’histoires comme d’habitude : « Aidez-le à se relever ! Où est-il blessé ? Ouvrez-lui sa chemise ! » etc. L’Américain demanda un couteau pour fendre ma chemise. Je savais qu’il y en avait un dans ma poche et m’efforçai de le sortir, mais je m’aperçus que mon bras droit était

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