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Hommage à la Catalogne

Hommage à la Catalogne

Titel: Hommage à la Catalogne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: George Orwell
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paralysé. Ne souffrant pas, j’en ressentis une vague satisfaction. Voilà qui va faire plaisir à ma femme, pensai-je ; elle qui était toujours à souhaiter que je fusse blessé pour que cela m’évitât d’être tué quand viendrait l’heure du grand combat. C’est alors seulement que j’en vins à me demander où j’avais été touché et à quel point c’était grave ; il ne m’était pas possible de rien sentir, mais j’avais conscience que la balle m’avait frappé par-devant. Lorsque je voulus parler, je m’aperçus que je n’avais pas de voix, que je ne pouvais faire entendre qu’un faible couic ; cependant à la seconde tentative je parvins à demander où j’étais blessé. À la gorge, me répondit-on. Harry Webb, notre brancardier, avait apporté une bande de pansement et une de ces petites bouteilles d’alcool qu’on nous distribuait pour nos paquets individuels de pansement. Quand on me souleva, un flot de sang jaillit de ma bouche, et j’entendis un Espagnol derrière moi dire que la balle m’avait traversé le cou de part en part. Répandu sur ma blessure, l’alcool, qui en temps ordinaire m’eût cuit comme le diable, me procura une sensation de fraîcheur agréable.
    On m’étendit à nouveau tandis que quelqu’un allait chercher une civière. Dès que je sus que la balle m’avait traversé le cou de part en part, je considérai comme chose établie que j’étais un homme mort. Je n’avais jamais entendu dire d’un homme ou d’un animal qu’ayant attrapé une balle en plein milieu du cou il y eût survécu. Le sang coulait goutte à goutte de la commissure de mes lèvres. « Ça y est ! c’est l’artère », pensai-je. Je me demandai combien de temps on pouvait encore durer avec l’artère carotide tranchée ; peu de minutes, vraisemblablement. Tout se brouillait. Il doit bien s’être écoulé deux minutes environ durant lesquelles je fus persuadé que j’étais tué. Et cela aussi est intéressant – je veux dire qu’il est intéressant de savoir quelles seraient vos pensées en un tel moment. Ma première pensée, assez conventionnellement, fut pour ma femme. Ma seconde pensée fut une violente colère d’avoir à quitter ce monde qui, tout compte fait, me convient si bien. J’eus le temps de sentir cela très vivement. La stupidité de cet accident me rendait furieux. Que c’était absurde ! Être supprimé, et pas même dans une bataille, mais dans ce banal coin de tranchée, à cause d’un instant d’inattention ! J’ai songé, aussi, à l’homme qui avait tiré sur moi, me suis demandé comment il était, si c’était un Espagnol ou un étranger, s’il savait qu’il m’avait eu, et ainsi de suite... Il ne me fut pas possible d’éprouver à son égard le moindre ressentiment. Je me dis que puisqu’il était fasciste, je l’eusse tué si je l’avais pu, mais s’il avait été fait prisonnier et amené devant moi à cet instant même, je l’aurais tout simplement félicité d’être bon tireur. Mais peut-être bien que si l’on est réellement en train de mourir, on a des pensées toutes différentes.
    On venait juste de m’étendre sur la civière quand mon bras droit paralysé redevint sensible et commença à me faire bigrement mal. Sur le moment, je me figurai que je devais me l’être cassé en tombant ; d’autre part, la douleur me rassura, car je savais que les sensations ne deviennent pas plus aiguës quand on est mourant. Je commençais à me sentir plus normal et à être navré pour les quatre pauvres diables qui transpiraient et glissaient, la civière sur l’épaule. Il y avait un mille et demi jusqu’à l’ambulance, et de marche très pénible par des sentiers pleins de bosses et glissants. Je savais quelle suée on prenait, pour avoir moi-même aidé à transporter un blessé un ou deux jours auparavant. Les feuilles des peupliers argentés qui, par endroits, bordaient nos tranchées, me frôlaient le visage au passage ; je songeais qu’il faisait bon vivre dans un monde où poussaient des peupliers argentés. Mais la douleur dans mon bras ne cessait pas d’être diabolique, me forçant tour à tour à jurer, puis à me retenir autant que possible de jurer, parce que chaque fois que je respirais trop fort, une mousse de sang me sortait de la bouche.
    Le docteur rebanda ma blessure, me fit une piqûre de morphine et m’évacua sur Sietamo. Les hôpitaux de Sietamo n’étaient que des baraquements en

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