Iacobus
de Castille et du Portugal mettaient en
doute ces inculpations, le pape Clément V, sous la pression du roi de France
qui lui avait donné la papauté, décida de supprimer l’ordre des chevaliers du
Temple. La bulle Considerantes Dudum obligea alors tous les
royaumes chrétiens à mettre sous la juridiction de la Sainte Inquisition tous
les Templiers se trouvant sur leurs territoires.
A partir de ce moment, le monarque français se
considéra comme légalement autorisé à mener jusqu’à son terme sa vengeance
personnelle. Il donna toute liberté d’action à Guillaume de Nogaret.
Trente-six Templiers moururent pendant les
interrogatoires, cinquante-quatre furent brûlés, tous ceux qui refusèrent de
reconnaître leurs crimes furent condamnés aux travaux forcés à perpétuité, et
seuls ceux qui les reconnurent en public furent libérés en 1312. Ils quittèrent
Paris et la France au cours des jours suivants.
La voix de Jean XXII me rappela brusquement à la
réalité :
— Vous savez donc que des Templiers
français ont fui vers des royaumes plus cléments que celui des Capet, et
qu’avec notre permission de nouveaux ordres militaires se sont formés. Plus
petits et moins dangereux, ils sont désormais chargés de certaines tâches que
remplissaient autrefois les chevaliers du Temple. Cela donne aujourd’hui un
ensemble qui complique le difficile équilibre politique établi entre les
royaumes chrétiens. Les Templiers portugais ont ainsi reçu un traitement très
différent de celui de leurs frères...
J’acquiesçai d’un léger hochement de tête.
— De fait, le Portugal est le seul royaume
de toute la chrétienté qui a refusé de les soumettre à l’Inquisition, les
protégeant du chevalet de torture et du supplice des brodequins. Pourquoi ce
royaume a-t-il désobéi à tous les mandats du pape ? Parce que don Diniz,
son roi, est un fervent disciple de l’esprit Templier... Mais cela ne lui a pas
suffi ! hurla le pape, indigné, il prétend maintenant me rendre la risée
de tous !
Il vida d’un trait sa coupe de vin et la reposa
sur la table d’un geste brusque. Le valet de chambre se précipita pour la
remplir.
— Écoutez-moi avec attention, frère. Nous
avons reçu il y a peu la visite d’un émissaire du roi sollicitant
l’autorisation de créer au Portugal un nouvel ordre militaire qui recevrait le
nom d’ordre des chevaliers du Christ. L’insolence du roi est telle qu’il a osé
nous envoyer un Templier connu, Joao Lourenço, qui attend patiemment notre
réponse, pour s’en retourner à bride abattue auprès de son seigneur. Que
dites-vous de cela, Galcerán de Born ?
— Je pense que le roi du Portugal agit
selon un plan parfaitement prémédité, Saint-Père.
— Soyez plus précis.
— Il est clair qu’il compte permettre aux
Templiers de poursuivre leurs activités dans son royaume. Le fait d’envoyer un
membre de cet ordre comme ambassadeur prouve qu’il ne craint nullement de vous
offenser par sa désobéissance.
Devant l’intérêt évident du pape, je
poursuivis :
— Comme vous le savez, le véritable nom de
l’ordre du Temple était : ordre des pauvres chevaliers du Christ du Temple
de Salomon, nom de leur première résidence en Terre sainte offerte par le roi
Baudouin aux neuf premiers fondateurs. Ainsi la différence entre le nom du
nouvel ordre et celui qui a disparu ne tient qu’à un seul mot. Bien inutile
d’ailleurs. Sur ce point, le roi du Portugal se montre cohérent au moins.
— Poursuivez.
— S’il compte rétablir les Templiers, il
lui faut non seulement changer leur nom, mais aussi leur rendre leurs anciennes
possessions. À qui appartiennent-elles actuellement ?
— À don Diniz, dit le pape avec ressentiment.
Comme l’ordonnait la bulle papale, il a
confisqué les biens des Templiers. Et il nous annonce maintenant en toute
tranquillité qu’il compte doter cet ordre nouveau de ces biens ! Pour
couronner toutes ces indignités, il nous fait savoir que les chevaliers du
Christ seront régis par les lois de l’ordre de Calatrava qui est lui-même fondé
sur la règle cistercienne. Celle-ci, bien que le roi du Portugal se garde bien
de nous le dire, est identique à celle des milites Templi Salomonis.
Il but une longue gorgée de vin, vidant de
nouveau sa coupe d’un trait, et la reposa sur la table d’un geste sec. Il était
réellement indigné, le visage congestionné par la colère. Cela dénotait
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