Il était une fois le Titanic
matinée, les tramways et les navettes fluviales déversèrent leurs passagers sur les rives de Queen’s Island. Car seuls pouvaient accéder au chantier les ouvriers chargés du lancement et les invités porteurs d’une accréditation. Tous les autres s’installèrent un peu partout, derrière les grilles, sur les berges du fleuve Lagan et les promontoires qui la surplombent. Ils étaient des milliers.
Sept mois seulement après le lancement de l’ Olympic , un événement plus fastueux encore se préparait : deux navires géants, deux mythes en train de naître se partageaient maintenant les faveurs de la foule.
Les ouvriers du chantier se passionnaient pour ces jumeaux sur lesquels ils ne navigueraient jamais. Mais ils leur appartenaient pour ce qu’ils leur avaient donné, pour les souffrances qu’ils leur avaient offertes, comme des stigmates qu’ils exhibaient avec orgueil. Ces paquebots sortis de leurs mains étaient irlandais comme eux. Et cela suffisait pour qu’ils s’y attachent à jamais. En ce début de siècle, ils avaient laissé de la sueur et du sang dans l’Histoire.
Cent ans après, leurs descendants s’en prévalent comme d’un honneur. Telle cette arrière-petite-fille d’ouvrier, rencontrée fortuitement lors de notre visite à Belfast, et que rien ne laissait distraire de l’orgueil familial qui la reliait à la construction de l’ Olympic et du Titanic . Car l’Ulster en a fait l’un des mythes fondateurs de l’Irlande du Nord. « On pensait jusqu’ici, peut-on lire sous la plume de Derek Booker, de la Lagan Boat Company, que c’était la faute des chantiers et des travailleurs du Titanic si le paquebot s’en était allé par le fond… Or, depuis la découverte de l’épave en 1985, tout a changé : on a recommencé à croire que c’était le meilleur bateau jamais construit depuis l’Arche de Noé 66 ! »
Nous avons interrogé de nombreuses personnalités pour asseoir cette certitude et demander à l’Histoire de rendre compte, sans a priori , de la vérité d’une époque. Aujourd’hui, nous pouvons assurer que les navires de la classe « Olympic » furent sans doute les meilleurs du monde. Le point de vue de l’ingénieur maritime David McVeigh 67 est sans équivoque, bien loin de l’idée répandue dans l’opinion : « La conception de cette classe de navires fut une réussite », dit-il, avant de préciser qu’on ne peut estimer la valeur d’une chose qu’en l’analysant dans son contexte historique. « Des paquebots comme l’ Olympic ou le Titanic étaient conçus à partir des connaissances techniques de leur époque. Or il ne se faisait rien de mieux dans les années 1910. » Selon Terry Madill, fondateur du Titanic Schools de Belfast – dont le but est d’expliquer le poids historique de l’ère « Titanic » sur la société contemporaine –, s’il ne faut pas éluder l’importance du naufrage du 15 avril 1912, « il est primordial de célébrer l’ingéniosité des artisans de cette incomparable réalisation que fut la construction des géants de la White Star ». Parce qu’ils ont fait mieux que mener leur projet à bien : ils ont inspiré les générations futures. « Nous sommes les enfants de ceux qui ont construit ces icônes du XX e siècle, conclut-il, et l’Irlande du Nord peut être fière de leur travail 68 . » Ce ciment, qui a réuni tout un peuple autour d’un chantier forge aujourd’hui le socle d’une fraternité nouvelle dans l’Irlande en reconstruction.
Ce 31 mai 1911, des drapeaux aux couleurs de la Grande-Bretagne et des États-Unis claquaient au vent, tandis que l’étoile blanche de la White Star Line était hissée en fanfare au-dessus de la tribune officielle. La cérémonie du deuxième lancement de la série des géants pouvait commencer.
John Pierpont Morgan se tenait au côté de lord Pirrie. La White Star avait organisé l’événement de telle sorte que la presse internationale s’était déplacée en nombre : plus d’une centaine de journalistes allaient rendre compte de ce lancement qu’on avait voulu spectaculaire, avec en toile de fond le pavois de l’ Olympic dont le départ pour Southampton était imminent.
Pirrie portait pour l’occasion une casquette de yachtman, raconte Walter Lord, « histoire d’ajouter une note de gaîté, car ce jour solennel, celui de la mise à flot du plus grand bateau du monde 69 , était aussi son anniversaire de mariage 70
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