Il était une fois le Titanic
glisser jusqu’au fleuve salé.
Soixante-deux secondes plus tard, l’ Olympic était à flot, freiné dans sa course par six ancres et huit tonnes de câbles. Il était midi, le 20 octobre 1910. La promesse de 1907 avait été tenue.
William James Pirrie et Joseph Bruce Ismay se serrèrent de nouveau la main. « La presse abusa du superlatif », rapporte Bernard Crochet 62 . Mais en parlant de « miracle », elle inscrivait l’événement dans les mémoires.
Un jour historique
Du haut des tribunes officielles, personne ne s’avisa que la coque avait poursuivi sa course au-delà de toute prévision. Lancée à 12 nœuds dans l’étroit chenal séparant Queen’s Island de la rive opposée, elle avait heurté
un dock de carénage. Thomas Andrews expliquera qu’une rafale de vent l’avait malencontreusement déportée. L’incident n’éveilla nul soupçon, mais le monstre venait pour la première fois d’échapper à la vigilance de ses démiurges.
Pour l’heure, une seule chose importait en cette journée festive : bientôt, cette coque vide emporterait à elle seule, chaque semaine, quelque deux mille cinq cents passagers vers le Nouveau Monde. Et les dignitaires qui avaient fait le voyage de Belfast à bord d’un navire spécialement affrété par la compagnie se félicitaient de cette prouesse industrielle.
Le bateau fut ensuite remorqué jusqu’au quai d’armement Alexandra Wharf, dans le prolongement des cales, pour y être presque entièrement aménagé pendant quelques mois, d’abord par les mécaniciens, ensuite par les charpentiers qui élèveront ses ponts jusqu’à la pose des cheminées.
Comme il ne se trouvait plus sur cales au côté du Titanic , sa coque fut repeinte en noir car il n’avait plus à se distinguer de son jumeau.
Durant cette période, l’un des événements les plus photographiés fut l’acheminement de ses ancres, dont la principale pesait quinze tonnes. Sur l’un de ces clichés, on peut la voir tirée par un attelage de vingt chevaux.
Au terme de ses aménagements, l’ Olympic jaugeait 45 324 tonneaux. Pourvu de ses deux machines à vapeur encadrant une turbine à basse pression, il était prévu qu’il marche à 22 nœuds avec ses vingt-neuf chaudières en activité.
Enfin, le paquebot fit un ultime séjour dans la cale Thomson, un bassin de radoub 63 situé sur la même rive de l’estuaire, en face des pompes destinées à l’assèchement de la cale. Au cours de cette ultime phase furent
posées les trois hélices en bronze dont le poids total était de 98 tonnes.
Le 2 mai 1911, de retour au quai d’armement, les machines furent mises en route pour la première fois. Satisfaits de son fonctionnement, les techniciens cédèrent la place aux artisans qui s’apprêtaient à lui donner son apparence définitive. À l’extérieur comme à l’intérieur, ses aménagements seraient à la mesure des ambitions affichées par la publicité.
Le 29, soit deux jours avant le lancement de son jumeau, l’ Olympic était prêt pour son premier voyage. La haute mer l’attendait, avec sa part de mystère. Il restait à effectuer deux jours d’essais à la mer, afin d’obtenir la validation du Board of Trade, le ministère britannique du Commerce dont dépendait la marine marchande. On testa la maniabilité du navire, on vérifia les compas et la bonne marche de la TSF, mais on ne fit aucun essai de vitesse. Les dés étaient jetés.
Tout avait été mis en œuvre pour que rien ne vînt compromettre une longue carrière. Contrairement à l’habitude, afin d’éviter un faux pas du destin qui eût déclenché la rumeur sur un navire « mal né », le chantier, d’entente avec l’armateur, ne procéda pas au baptême traditionnel du navire lors de son lancement 64 . Une simple bénédiction sans champagne suffit à lui donner le blanc-seing nécessaire. Les discours rassurants s’étaient substitués aux superstitions.
Et, le 31 mai, Belfast pavoisait à nouveau. Tandis que l’ Olympic patientait pour quitter l’estuaire à destination de l’Amérique, on n’avait d’yeux que pour le Titanic . Sa coque d’acier attendait fièrement sur le ber 65 de la cale numéro 3 qu’on la libérât de son berceau de bois. Les deux plus grands navires du monde rivalisaient déjà dans l’esprit du
public, à la grande satisfaction du patron de la White Star Line dont les atermoiements et les doutes semblaient n’être plus qu’un souvenir.
Toute la
Weitere Kostenlose Bücher