Il était une fois le Titanic
».
Il était un peu plus de midi, comme lors de la précédente cérémonie. Le nom du Titanic n’apparaissait pas encore sur l’étrave 71 ni sur la plaque de poupe qui serait fixée juste avant sa mise en service. Le drapeau rouge fut hissé à l’étambot 72 pour signifier à toutes les embarcations de s’écarter de la trajectoire du lancement. Les cinq remorqueurs devant le haler à son quai se tenaient prêts à intervenir, afin d’éviter que la longue coque d’acier ne fût entraînée par son élan dans le chenal. L’incident survenu lors de la mise à flot de l’ Olympic avait servi de leçon. Puis Thomas Andrews, qui avait la responsabilité du lancement, fit tirer la fusée rouge qui entamait le compte à rebours.
Moins de cinq minutes. Les derniers coups de marteau retentirent sous la carène, puis un silence impressionnant s’établit sur tout le chantier. Jusqu’à la première secousse.
Walter Lord retranscrit ainsi la scène : « Les ouvriers présents sur le pont furent les premiers à le sentir bouger et se mirent à pousser des hourras, imités par leurs camarades
restés à terre, tandis que s’élevait un concert de sifflets, au milieu du craquement des morceaux de bois et du cliquetis des chaînes destinées à ralentir le navire lorsqu’il serait en eau. Prenant peu à peu de la vitesse, le paquebot glissa sur les couettes lubrifiées par trois tonnes de savon, quinze tonnes de suif et cinq tonnes d’un mélange de suif et d’huile de baleine. À 12 h 15, soixante-deux secondes exactement après qu’il eut commencé à s’ébranler, le Titanic était à flot 73 . »
Sans marraine, sans champagne et sans incident, il avait fait mieux que son aîné le 20 octobre 1910, le long duquel il glissait maintenant, retenu par vingt-trois chaînes de 80 tonnes. Les remorqueurs le prirent ensuite en charge et le halèrent à son quai d’armement.
Il n’y avait plus qu’à laisser l’Histoire suivre son cours.
Comme à chaque lancement, William Pirrie convia John Pierpont Morgan, Joseph Bruce Ismay et Thomas Andrews à sa table. Quant aux cadres du chantier, ils étaient réunis à l’hôtel Grand Central de Belfast pour une grande réception. En outre, afin de marquer durablement les esprits, la compagnie offrit un grand banquet aux journalistes venus couvrir l’événement. Au cours du déjeuner leur furent distribuées toutes les informations relatives au nouveau fleuron de la compagnie. L’écrivain Frank Bullen évoquera une journée « tout à fait dans la tradition britannique 74 ».
Aussitôt après son lancement, le Titanic fut amarré au quai Thomson. C’est là que, pendant près de huit mois, techniciens, ouvriers et artisans finiraient de l’armer, de l’aménager et de le décorer, comme ils l’avaient fait pour l’ Olympic . Pour l’instant, tronqué du pont A et de ses superstructures, il ne donnait pas l’impression de l’emporter sur son jumeau flambant neuf, dont le pavillon claquait dans la brise irlandaise en attendant de prendre la mer.
À 16 h 30, les sirènes de l’ Olympic retentirent pour la première fois. Cent mille personnes le saluèrent en agitant des mouchoirs blancs sur les deux rives de l’estuaire. C’était un peu comme une répétition générale car bientôt le Titanic s’approprierait cette cérémonie des adieux, toujours teintée de nostalgie malgré les flonflons de la fête.
Dans le sillage de l’ Olympic , le Nomadic et le Traffic , fraîchement armés pour le service des passagers, prenaient également la mer à destination de Cherbourg. Sur le transatlantique noir aux cheminées chamois, les personnalités officielles venues pour le lancement du Titanic s’en retournaient en Angleterre. John Pierpont Morgan et le baron Pirrie descendraient à l’escale de Southampton, tandis que Joseph Ismay et Thomas Andrews poursuivraient jusqu’à New York. Andrews serait accompagné par une petite équipe d’entretien, appelée guaranteed group , dont la mission était de prendre le pouls du navire pour prévenir les problèmes susceptibles de se présenter au cours du voyage inaugural.
Après avoir avitaillé puis complété son équipage, l’ Olympic gagnerait Cherbourg et enfin Queenstown 75 , dernière escale avant la grande traversée.
Confort, luxe et volupté
Sur le Titanic , on poursuivait sereinement les aménagements qui feraient de ce paquebot un navire hors normes, inclassable parmi ses
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