Il fut un jour à Gorée
bout du monde.
On fait monter les hommes et les femmes enchaînés sur un bateau qui paraît immense aux yeux de Ndioba : il est bien plus grand que la plus grande pirogue quelle ait vue flotter sur le fleuve !
La côte s’éloigne un peu. On ne va pas très loin. Le bateau accoste bientôt sur le quai d’une petite île. Après avoir débarqué, Ndioba aperçoit devant elle des hommes étranges qui la terrifient : ils ont des visages blancs comme les défenses des éléphants !
Et ces êtres fantastiques se penchent sur la petite fille. Ils lui ouvrent la bouche pour contempler ses dents, écartent ses paupières, tâtent ses muscles… Ndioba est épouvantée : ces créatures veulent-elles la dévorer ?
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La petite île de Gorée semble posée sur les eaux de l’océan Atlantique comme une dernière escale avant d’aborder l’Afrique. En face, sur la côte, c’est Dakar, la capitale du Sénégal. Aujourd’hui, les touristes sont nombreux à venir profiter du soleil et de la mer bleue sur l’île fleurie aux maisons colorées et aux bougainvillées odorantes. Ils aiment le charme de l’endroit. Mais derrière cette façade de carte postale se cache une autre Gorée, celle qui fut autrefois la porte de l’enfer. Des foules d’hommes, de femmes et d’enfants, vendus comme des objets, sont parties d’ici pour les Amériques… On dit « les Amériques » car il s’agissait du territoire actuel des États-Unis et, plus au sud, de la Guyane et du Brésil. Mais aussi des Antilles, un archipel d’îles comme Cuba, Saint-Domingue, la Jamaïque, la Martinique, la Guadeloupe, possessions, selon les cas et les époques, de la France, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas. Or, pour développer l’agriculture de ces colonies, les pays européens avaient besoin d’esclaves, de beaucoup d’esclaves…
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Avant l’arrivée des Blancs, l’île s’appelait Bir – le ventre – peut-être parce que l’on imaginait dans ses formes les rondeurs d’un ventre étalé sur la mer. En 1444, les premiers Blancs y débarquèrent. C’étaient des Portugais. La caravelle qui jeta l’ancre au large impressionna fortement la population des rives africaines. Certains croyaient y voir un immense poisson jailli de la mer, d’autres assuraient qu’il s’agissait d’un fantôme, d’autres encore optaient pour un oiseau courant sur l’océan… La réalité était moins poétique : les hommes surgis des entrailles de la bête cherchaient des esclaves.
Quelques mois plus tard, se tint au sud du Portugal une première vente : deux cent quarante Noirs étaient proposés à une poignée de riches acheteurs. Il reste un témoignage de cet événement. Dans la description qui nous en est donnée, tout le drame de l’Afrique se trouve déjà dépeint…
« Leurs visages se baignaient de larmes lorsqu’ils se regardaient les uns les autres ; d’autres gémissaient douloureusement, levaient les yeux vers le ciel et y fixaient leurs regards, et criaient à pleine voix… Il était nécessaire de séparer les enfants de leurs parents, et les femmes de leurs maris, et les frères de leurs frères. Aucun compte n’était tenu ni de l’amitié, ni de la parenté, mais chacun allait tomber là où le sort l’emportait. »
En 1588, les Hollandais enlevèrent cette petite terre aux Portugais et l’appelèrent « la belle rade »,
Goed Reed
en néerlandais, ce qui allait donner Gorée. Très vite, l’emplacement de l’île en fit un centre privilégié de la « traite négrière », c’est-à-dire le commerce d’êtres humains à la peau noire.
Ce trafic rapportait beaucoup d’argent et attisait les convoitises des royaumes d’Europe. L’île devint l’enjeu de combats incessants. Les Portugais s’en emparèrent à nouveau. Puis un corsaire français vint la piller. Ensuite un major anglais l’occupa au profit d’une compagnie commerciale. Les Hollandais revinrent bientôt et en chassèrent les Anglais. Enfin, en 1677, le vice-amiral d’Estrées prit possession de la place au nom du roi de France. Plus tard, elle retomba sous la coupe britannique avant de retourner à la France. Mais les rivalités des grandes puissances ne changeaient pas le destin des Africains vendus et déportés. Gorée portugaise, Gorée hollandaise, Gorée française ou Gorée britannique restait toujours l’île aux esclaves.
En 1750, cinq cents Noirs captifs à Gorée
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