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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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s’en allait, le maréchal haussa les épaules
et soupira :
    — Dous bareils, ces bourcheois, ça s’rend bas compte.
Et les autres, là-pas, infoutus d’édouffer un feu te rien ! Ils fiennent
d’où ? Bas d’ma campagne, en dout gas, ah non, un paysan ça sait édeindre
une granche afec un verre d’eau !
    Fils d’un meunier de Rouffach dont il avait l’accent, mari
d’une blanchisseuse dont les vrais nobles de la Cour se moquaient, le premier
toutefois que Napoléon avait doté d’un duché imaginaire, Lefebvre rappelait
avec orgueil et à chaque occasion ses origines humbles, mais aujourd’hui,
pensaient ses officiers, même avec un seau, son paysan idéal n’obtiendrait
aucun résultat : ça flambait fort, à l’autre bout de la ville.
     
    À dix heures du soir, une calèche militaire découverte,
munie de fanaux qui éclairaient surtout les croupes des chevaux, sortit du
Kremlin pour s’engager vers le nord-est de la ville. La troupe complète de
Madame Aurore s’y tassait ; le grand Vialatoux avait consenti à retirer
son casque de centurion et une jambière de Jeanne d’Arc dépassait à la
portière. Sébastien avait pris place à côté du postillon, l’intendant Bausset
l’avait autorisé à escorter ses protégés, et il se retournait sans cesse sur
son siège pour essayer de distinguer dans l’obscurité la silhouette de
Mademoiselle Ornella. Cette contemplation furtive était rendue pénible par
l’omniprésence de Madame Aurore, qui connaissait par cœur le chemin et guidait
à la voix ; debout au milieu de la calèche, malgré les cahots, elle
indiquait les raccourcis pour parvenir au chalet loué à un négociant
italien :
    — À droite, par là, on va longer le bazar…
    La voiture s’engagea comme l’indiquait la directrice.
    — Ce serait plus court par le bazar, continuait la
bavarde, mais les entrées des caves s’ouvrent au milieu de la rue, et en plus,
regardez un peu cette bousculade…
    La voiture doublait des rues étroites, aux maisons de brique
sans étage que bordaient des portiques. Libres enfin de leurs officiers, les
soldats se servaient, se chamaillaient pour un tonneau de miel ou une écharpe
en fils d’argent. C’était la ville chinoise. Les marchands de Lan Tcheou y
acheminaient les produits de toute l’Asie. Ils venaient d’au-delà du fleuve
Amour, quand on ne sait plus où finit la Russie et où commence la Chine. Ils
quittaient au nord de la Caspienne la route de la soie, leurs caravanes
remontaient la Volga et le Don pour vendre à Moscou la soie blanche de
Boukhara, des plats en cuivre ciselé, des sacs d’épices, des bâtons de savon,
des blocs de sel aux veines roses. De nombreux écheveaux se balançaient aux
devantures, que révélaient les falots des pillards de la Garde. Leurs uniformes
disparaissaient sous des velours de soie aux teintes crues, ils troquaient
leurs shakos contre des bonnets tartares à oreillettes, chipaient des objets
travaillés dans l’ivoire des morses ; les tissus de Hissar rayés de violet
ou de jaune leur servaient de capes. Ils ressortaient par bandes du quartier,
méconnaissables, et la calèche se frayait un passage difficile ; on devait
avancer au pas. Le parcours semblait interminable mais Sébastien en était ravi,
car cela prolongeait d’autant la présence de Mademoiselle Ornella qui lui
paraissait avoir toutes les vertus du ciel et de la terre, lorsqu’une explosion
le fit sursauter. À leur gauche, une boutique du bazar s’embrasait. Des hommes
indistincts couraient dans toutes les directions en criant. Le postillon
fouetta ses chevaux, ils allongèrent le trot dans le désordre, heurtant parfois
un grenadier ou un voltigeur qui se précipitaient hors du quartier
chinois ; l’un d’eux s’accrocha à la calèche, grimpa sur le
marchepied :
    — Ça a explosé quand on a défoncé la porte d’une
échoppe !
    Il avait tordu une pièce de soie autour de son col, endossé
une veste en peau de loup, et il accusait :
    — Vous allez voir qu’on va griller dans cette saleté de
ville !
    — Taisez-vous, dit Sébastien avec une autorité qu’il ne
se connaissait pas. Vous effrayez ces dames.
    — Y’a pas qu’les dames de trouillardes, et si je pouvais
jouer à l’oiseau, je m’envolerais d’ici et vite !
    — Ça brûle aussi de l’autre côté, dit Madame Aurore,
après l’hôpital des Enfants-Trouvés. Ça doit être à la Solenka.
    — La quoi ? demanda

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