Il neigeait
Majesté. Des valets portaient des caisses. Sébastien
surveillait cet emménagement quand des gendarmes crottés amenèrent une sorte de
marchand russe, très blond, très moustachu, des cheveux longs sous un chapeau
en forme de cloche. Les factionnaires croisèrent leurs baïonnettes.
— Je suis le capitaine Konopka, dit le prétendu
marchand. J’arrive de Lituanie, j’ai une communication pour l’Empereur de la
part du duc de Bassano qui gouverne Vilna.
— T’es pas russe ?
— Polonais !
— Je vais prévenir Sa Majesté, dit Sébastien.
Il rentra dans une pièce qu’enfumait le poêle. Boudeur, dans
son fauteuil de voyage, Napoléon écoutait le major général lui énumérer ses
effectifs et ses pertes.
— Nous n’avons plus que huit mille combattants, sire.
Nous avons récemment perdu vingt-sept généraux, quarante mille hommes ont été
faits prisonniers, soixante mille sont morts. Nous avons dû laisser cinq cents
canons sur la route…
— Nos réserves ?
— Oudinot est encore en Lituanie.
— Qu’il nous rejoigne. Combien d’hommes ?
— Cinq mille.
— Et Victor ?
— Quinze mille.
— Qu’il nous rejoigne aussi. Davout ?
— Il a quitté Krasnoïe ce matin.
— Avec Ney ?
— Non, sire.
— Qui a donné l’ordre à ce jean-foutre ?
— Lui-même.
— Il devait attendre Ney !
— Il marche sur Orcha en brûlant les ponts derrière
lui.
— Alors Ney est perdu ?
Berthier ne répondait pas et l’Empereur remarqua Sébastien,
debout sur le seuil :
— Que veut cette godiche qui se tord les mains ?
— Sire, dit Sébastien que Napoléon considérait d’un œil
furibond, un officier polonais est ici, il arrive de Lituanie…
— Eh bien faites-le entrer, triple empoté !
— Sire, dit le capitaine Konopka en entrant, le chapeau
à la main, une armée russe avance vers Vilna.
— Le duc de Bassano ?
— Il s’en inquiète et m’a envoyé vous prévenir.
— Qu’il tienne bon !
— Le pourra-t-il ?
— Il le doit !
— La situation est périlleuse, j’ai dû me déguiser pour
traverser les lignes ennemies.
— Ils sont donc partout, ces barbares ?
— Partout.
— Quelle distance pour arriver à Vilna et au
Niémen ?
— Cent vingt lieues de désert.
— Par où passer ?
— Le dégel oblige à emprunter les ponts.
— Traverser ici le Dniepr ?
— Oui, sire.
— Ensuite ?
— Il y a un autre pont sur un affluent du Dniepr, à
Borisov.
— Combien de temps pour y parvenir ?
— Environ une semaine.
— Les Russes peuvent nous y précéder ?
— Peut-être, sire, mais c’est la seule issue.
— Il est large, votre fleuve ?
— Pas tellement, environ quarante toises.
— Son nom ?
— La Bérésina.
Deux grenadiers de la Garde sortaient du couvent qu’occupait
l’intendance. En portant un gros balluchon, ils remontaient vers leur
cantonnement avec des provisions pour le bataillon, contournaient le centre,
trop populeux, où des affamés les détrousseraient malgré leurs armes,
lorsqu’ils virent une jeune femme déguenillée, boueuse, le dos contre le bois
d’une cahute. Elle les aguichait. Elle avait des cheveux noirs, longs et
dépeignés, quelque chose d’angélique dans le visage mais de provocant dans la
pose : Ornella se composait un personnage canaille. Les grenadiers
s’arrêtèrent devant elle, ils se parlaient entre eux :
— Tu crois qu’elle cause français ?
— Oui ou non, quelle importance…
— Pour c’qu’on veut en faire, t’as raison.
— Je suis parisienne et j’ai faim, dit Ornella en les
reluquant.
— Ça s’discute, dit un grenadier.
— Ça se paie, dit-elle.
— Tu offres quoi pour des biscuits ?
— Vous ne serez pas déçus ! lança-t-elle en
disparaissant à l’intérieur de la cahute.
Les grenadiers hésitaient.
— Vas-y d’abord, t’es sergent.
— Ouvre l’œil sur nos rations.
— Pour sûr, dit l’autre en armant son pistolet.
Le sergent entra donc très excité dans une pièce sombre.
— T’es où ?
— Avance.
Le sergent avança à tâtons.
— Ah ! je te tiens !
Il sentait sous ses doigts la chevelure d’Ornella.
— Moi aussi je te tiens !
Elle lui serra les poignets tandis que le docteur
Fournereau, derrière, l’égorgeait avec son scalpel d’un geste précis, sans un
bruit. Ils se concertaient à voix basse :
— Celui qui garde le sac de biscuits, disait
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