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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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suivi en se poussant et ils avaient abouti au fond ;
incapables de remonter, ils avaient dû meugler longtemps, se blesser, se
débattre. Le gel les avait fixés dans des postures effrayantes ou burlesques.
    Quelques soldats déroulaient des cordes jusqu’en bas pour
examiner les bœufs saupoudrés d’or. Ils marchaient à la surface de la glace, se
retenaient aux cornes comme à des poignées. Un géant abattit une hache de
sapeur sur l’une des bêtes, mais le fer n’entamait pas le cuir, tant il était
dur. Le chien Dimitri, dans les jambes de Sébastien, aboyait sans risque contre
les bœufs morts qui l’effrayaient. Il s’approcha trop, dévala plusieurs mètres.
Sébastien voulut le rechercher, il s’accrocha à des rochers qui affleuraient,
prit le chien contre lui ; des mains se tendirent pour l’aider. Une once
de fraternité subsistait chez les hommes de la Garde impériale.
    Et les fourgons traversèrent le pont.
    Ils entrèrent à la nuit dans Krasnoïe illuminée par les
bivouacs. Les cochers dételèrent devant les bâtiments frustes du quartier
général et Sébastien vérifia comment sa passagère avait subi le voyage. Elle ne
bougeait pas, pelotonnée sur les cartons de paperasse. Il lui tapota les mains,
les joues, sans parvenir à faire monter le sang sous cette peau transparente.
    — Portez-la aux médecins, monsieur Roque.
    Le baron Fain, prévenu de l’arrivée des fourgons, ne
paraissait pas surpris de découvrir Mademoiselle Sautet. Il proposa même à son
commis de l’emporter avec lui vers l’hôpital de la Garde où officiait le
docteur Larrey.
    — Ne prenez pas cette peine, monsieur le baron.
    — Oh oui ! Si vous vous cassez la figure avec
votre fardeau, sur cette neige glissante ? Si vous vous foulez le
poignet ? J’en ai besoin, moi, de votre main qui tient la plume.
    L’hôpital désignait une grange remplie de blessés et de
grenadiers paralysés par le froid que frictionnaient des infirmiers et des
bénévoles à bout de force. Sébastien reconnut Madame Aurore de dos ; elle
s’activait auprès d’un sergent couché, lui tirait ses bottes, il avait les
pieds gelés et sa peau collée au cuir se déchirait par bandes. Catherine, la
comédienne rousse, circulait entre les rangées avec une gourde d’eau-de-vie.
Après avoir confié la fille du libraire à un apprenti chirurgien, Sébastien
interrogea Madame Aurore qui pansait son sergent avec des lambeaux de chemise.
Ornella ? Elle ne savait pas. Elle avait rejoint un groupe de traîneurs.
Lorsqu’ils avaient laissé leur carriole, les comédiens s’étaient
dispersés ; la directrice et Catherine avaient trouvé asile chez des
artilleurs, elles avaient voyagé à califourchon sur un affût de canon.
     
    Cette nuit, des fricoteurs avaient volé le cheval cosaque du
capitaine d’Herbigny ; il n’avait retrouvé que la bride coupée. Il fallait
pourtant dormir, mais les chapardeurs en profitaient. Combien ne quittaient
plus leur paquetage et se relayaient pour surveiller leurs chevaux ?
Cavalier réduit à l’état de fantassin, le capitaine vivait cette infortune
comme une honte. Lorsqu’il avait découvert le vol, il n’avait même pas eu le
temps de fureter en ville : l’Empereur réunissait sur la place principale
de Krasnoïe les divisions de sa Garde en mesure de tenir une arme. Ils étaient
là à battre la semelle, grenadiers, dragons démontés, tirailleurs, la neige aux
chapeaux et aux barbes. Les Russes essayaient de couper Napoléon de ses
régiments. Le 1 er  corps de Davout, si éprouvé, si maigre,
essuyait le tir d’une armée dix fois plus nombreuse mais par bonheur mal
commandée. Les généraux du Tsar craignaient encore Napoléon, même dans la
déroute son nom suffisait à les faire trembler. Averti, celui-ci avait décidé
de mener lui-même au combat ses troupes d’élite, comptant repousser l’ennemi
par sa présence, délivrer les unités harcelées qui devaient le rejoindre. Il
arriva à pied, vêtu à la polonaise d’une pelisse verte garnie de brandebourgs
en or, bottes fourrées, un bonnet en peau de martre bordé de renard qu’il
attachait par des rubans, un bâton de bouleau à la main. Il prononça un
discours dont on se répétait les phrases de rang en rang. D’Herbigny n’en
retint qu’une formule, mais elle l’électrisa : « J’ai assez fait
l’empereur, je vais refaire le général. »
    Les grenadiers de la Vieille Garde se placèrent en

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