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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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Ornella,
il est armé.
    — Appelle-le…
    — Il ne viendra pas, il attend son camarade.
    — Fais-le patienter, joue ton rôle, pousse des
gémissements.
    Ornella se mit à gémir ; elle alluma l’une des bougies
qu’elle avait emportées en quittant leur carriole.
    — Toi, le cabotin, dit le docteur à Vialatoux, tu as la
même taille, ou presque, que cet idiot de soldat, mets son bonnet, sa
redingote. La nuit tombe…
    — Je comprends mon personnage, murmura le grand
Vialatoux d’un ton professionnel.
    Les autres se déplièrent dans la pénombre ; ils
dépouillèrent le grenadier. Vialatoux enfila la redingote en prenant des
postures, il se flanqua sur le crâne le long bonnet à poils, s’enveloppa le
visage dans l’écharpe de fourrure, puis il regretta de ne pas avoir une lumière
plus vive et un miroir pour ajuster sa tenue. Fournereau lui chuchota qu’il
était parfait. Après des roucoulements outrés, au dernier cri d’Ornella, il
poussa dehors le comédien.
    — Hé ! sergent, vous savez faire chanter la
gueuse ! le complimenta l’autre grenadier, mais, comme il tendait le
balluchon, il eut un doute, leva son pistolet :
    — D’où il vient, ce sang, sur ta redingote ?
    Vialatoux fit signe que cela n’était rien.
    — T’es devenu muet ? T’es qui, toi ? Et le
sergent ? Où est le sergent ?
    Vialatoux, d’un bond, lui tordit la main ; le coup de
feu partit dans le sol. Fournereau et deux ou trois gaillards se précipitèrent.
Le grenadier tomba, Fournereau l’immobilisa, lui tourna le visage dans la boue
liquide et l’y maintint le temps qu’il fallut pour l’étouffer. Sa besogne
faite, il revint dans la cahute où l’on se répartissait biscuits et pains de
seigle.
    — Mangez pas tout, pensez à demain, dit le docteur qui
traînait le corps du second brigadier dans la cabane.
    À la chandelle, par terre, ils s’étaient jetés sur les
pains, ils les dévoraient, ils se gavaient, ils s’en étouffaient, Fournereau
comme les autres. Tout à coup ils s’interrompent. Une vive lueur éclaire
l’entrée de leur refuge. Ils ramassent les portions, sortent. Des voitures
brûlent au milieu des rues. Quelques artilleurs tirent des chevaux par la
bride, d’autres cassent les vitres d’une berline, d’autre encore y portent des
brandons. Fournereau et son groupe s’approchent, il y a peut-être des vêtements
à récupérer.
    — Tiens, dit un soldat à Vialatoux.
    Il lui tend une torche. Le comédien a gardé son bonnet de
grenadier et le voici enrôlé. Pourquoi pas ? La Garde, au moins, est
nourrie. Il en profite pour participer à cette sarabande d’incendiaires qui
prennent plaisir à détruire la moitié des équipages : ils courent, ils
rient, ils cassent, ils enflamment, Vialatoux avec eux. L’Empereur a montré
l’exemple en brûlant une partie de ses bagages sur un bûcher : il veut des
chevaux pour le peu de canons et de caissons venus jusqu’ici, non pour des
voitures inutiles qui entravent sa marche.
     
    Piétons et voituriers passèrent le Dniepr sur deux ponts que
Davout allait brûler. Tant pis pour le maréchal Ney, il fallait se dépêcher
vers Borisov ; les Russes pouvaient intervenir en nombre, couper la voie
du retour. Oudinot et Victor avaient reçu l’ordre de se tenir sur la Bérésina
avec leurs armées de réserve en vêtements d’hiver. Après une route bourbeuse,
jalonnée par des rangs de bouleaux, la cohorte traversa la sombre forêt de
Minsk. Dans leur fourgon du secrétariat, Sébastien et le baron Fain s’étaient
creusé une place en détruisant à Orcha des brassées d’archives.
    — Monsieur Roque, dit le baron, vous claquez des dents.
    — Je claque des dents.
    — Secouez-vous ! et marchons pour nous
désengourdir, ou bien nous finirons comme la petite Sautet.
    — J’avais promis à ses parents…
    — Vous êtes médecin ? Non ?
    — Je revois cet hôpital, cette paille, ce fumier où
couchaient les malades et les amputés…
    — Vous jouerez le sentimental aux Tuileries.
Ouste ! Sortez de ce fourgon.
    — J’ai compris quand le chien s’est enfui en hurlant.
    — Naturaliste, maintenant ? Vous étudiez le
comportement des chiens ?
    — Tout s’en va autour de nous, monsieur le baron.
    — Turlututu ! Tant que vous vous rasez le menton
chaque matin, l’espoir demeure. Allez ! Même Sa Majesté marche pour ne pas
transir de froid.
    Ils patouillaient dans la neige fondue. Devant

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