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Il neigeait

Il neigeait

Titel: Il neigeait Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Patrick Rambaud
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deux mains pour
sabrer !
    — Je n’en doute pas, mais Pucheu a moins d’ascendant
que vous sur mes lascars.
    — J’obéis.
    — Notre métier n’est pas toujours brillant, capitaine.
    — Je sais.
    — Maintenez la discipline.
    — Je vais essayer.
    — N’essayez pas, réussissez.
    — Adieu, mon général.
    — Au revoir, capitaine. À Paris, je vous obtiendrai de
l’avancement.
    — Paris est loin.
    D’Herbigny allait par devoir se fondre dans la piétaille.
Ses états de service étaient inutiles. Balayés Aboukir, Saint-Jean-d’Acre,
Eylau, Wagram, balayés. Pucheu mettait le pied à l’étrier et enfourchait la
jument noire de leur général en lui disant :
    — À toi mes bonshommes ! Si tu les joins aux tiens
ça te fera presque un demi-escadron de braconniers.
    — Je les tiendrai, tes bougres, même avec une main.
    — Ah oui, j’ai deux mains, mais est-ce que je vais les
garder longtemps ?
    —  Vaya con Dios !
    Le capitaine avait si souvent entendu cette expression à
Saragosse, qu’elle lui venait parfois dans les périodes difficiles ; il la
traduisait curieusement par Va au diable ! Pucheu partit au petit
trot se mêler à l’escadron sacré, une soixantaine d’officiers de tous les
grades et de tous les régiments, en capes, en bicornes à plumes, en bonnets de
fourrure. L’Empereur s’apprêtait à prendre la route vers la bourgade d’Orcha, à
travers des marais et une série de ponts en bois. Le prince Eugène y poussait
déjà les traîneurs et les civils avec ses Italiens. Davout restait à Krasnoïe
pour y attendre le maréchal Ney dont on n’avait aucune nouvelle. Le canon
résonnait encore. En ligne, le dos à un ravin, les lanciers rouges et les
Portugais de Mortier retardaient l’avancée de Koutouzov. D’Herbigny les enviait
d’être au massacre. Pourquoi les balles l’épargnaient-elles sans cesse ?
Pourquoi combattre encore et obéir toujours ? Il s’imaginait courir après
Mortier, duc de Trévise, un grand type pas très futé mais fidèle, une tête
d’épingle sur un corps démesuré, comme lui, et s’offrir aux canons russes. Pour
la première fois de sa vie, le capitaine se posait des questions claires. Il en
avait la cervelle chamboulée.
    Pensif, il poussa une porte des baraquements de ses dragons.
Ils étaient mal reposés, grondaient. Les plus vaillants formaient les rangs.
Des images défilaient, le capitaine voyait le visage d’Anissia, la novice qu’il
avait enterrée à Moscou, ses yeux implorants, son sourire doux, la petite croix
en or qu’il portait désormais à son cou ; puis des haies, des prairies
normandes, des vallons qui moutonnaient jusqu’à l’horizon, des vaches, des pots
de crème, le marché de Rouen, les auberges, chez lui, dans cette campagne dont
parlait Paulin avec des trémolos. Où restait-il, celui-là ? « Paulin ! »
Les dragons ne l’avaient pas vu. Tout seul il ne s’en sortirait pas, ce
couillon ! « Paulin ! » Son domestique lui manquait, même
si dans cette retraite il n’avait guère d’emploi. Plus besoin de cirer les
bottes ; les bottes cirées, tu parles ! D’Herbigny noua plus serré
les colliers de perles qui ligotaient les chiffons de ses jambes. Debout de
toute sa hauteur, il distribua des bourrades aux récalcitrants pour les mettre
en rang. Le trompette éclata d’un rire hystérique, d’Herbigny lui arracha son
instrument et souffla dedans à s’en faire claquer les poumons ; avec des
couacs.
     
    À Orcha, au bord d’un Dniepr élargi et rapide qui charriait
des glaçons, le temps se radoucit. Avec ce brusque dégel, la neige fondait et
se changeait dans les rues en une boue noire, liquide, grasse, où l’on
enfonçait jusqu’aux tibias. Des équipages s’engluaient au milieu de ce cloaque,
les fuyards y pataugeaient, ils encombraient la ville trop exiguë pour héberger
leur masse, s’entassaient dans des isbas. Ils n’avaient pas souvent la place de
s’allonger, les plus harassés s’endormaient accroupis, pressés, dans une
écœurante odeur de moisi, de crasse et de fauve. Désemparés, ils revenaient à
l’état bestial. Seuls les grenadiers en faction indiquaient que l’Empereur
avait pris ses quartiers dans un lot de maisonnettes en rondins mal équarris. À
côté, des sapeurs avaient démantibulé une cabane pour aménager des passerelles
entre les voitures et les portes, afin de ne pas salir les bottes, les bagages
et les archives de Sa

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