Il suffit d'un Amour Tome 2
faire accroire que tu ignores ce que celle-ci, quand elle n'était encore qu'une gamine, a fait pour sauver ton frère ? Que je suis trop gâteux pour me rappeler que deux enfants ont arraché un prisonnier que l'on menait à Montfaucon, au péril de leur vie et avec un courage digne d'une meilleure cause, qu'ils l'ont caché dans la cave du père de la fille... la cave où il a été découvert... la cave de ce Gaucher Legoix que j'ai fait pendre aussitôt à sa propre enseigne de maudit orfèvre armagnac ? Gaucher Legoix
!... son père à elle !
D'un doigt tremblant de fureur, il désignait Catherine qui l'écoutait avec une joie, une émotion qu'il ne pouvait comprendre. Étranglant de rage, il ajouta :
— Elle... Catherine Legoix... la petite putain qui avait caché ton frère dans son lit et que, maintenant, tu oses me demander de relâcher, pauvre imbécile !
— Pas dans mon lit, protesta Catherine à qui l'indignation avait rendu toute sa lucidité : dans la cave !
Mais Arnaud n'écoutait plus ni elle, ni Cauchon. Il la regardait seulement comme jamais encore il ne l'avait regardée. Le cœur tremblant, Catherine n'osait y croire. Il y avait, dans les yeux noirs du jeune homme, une joie immense et aussi tout l'amour, toute la passion qu'elle avait désespéré d'y voir jamais. Sans la quitter des yeux, il murmura :
— Tu ne sais pas ce que tu viens de faire pour moi, évêque ! Sinon, je crois bien que tu le regretterais !... Catherine, mon amour... mon seul, mon merveilleux amour... pourras-tu jamais me pardonner ?
Ah, certes, ils étaient bien loin du donjon sinistre, des murs suintants et du vieillard quinteux qui étouffait dans son haut fauteuil, cherchant avec des râles un air qui fuyait ses poumons malades. La colère furieuse à laquelle il s'était laissé emporter avait déclenché une violente crise d'emphysème. Il râlait avec au fond de la gorge un tragique crépitement qui ponctuait ses efforts pour respirer. Mais il eût pu mourir auprès d'eux sans qu'Arnaud et Catherine, perdus dans leur rêve, lui prêtassent la moindre attention. Ils goûtaient cette minute unique, tellement inattendue, qui abattait entre eux tous les obstacles, d'un seul coup, qui réduisait à un faible tas de cendres les années écoulées, les rancœurs, les jalousies, les cruautés de jadis.
— Je n'ai rien à te pardonner, murmura enfin Catherine, ses yeux violets chargés d'extase... puisque je peux maintenant te dire que je t'aime...
Mais les râles de l'évêque avaient attiré un moine qui leva les bras au ciel et se précipita au secours de son patron. Entre deux quintes de toux, celui-ci désigna les deux prisonniers d'une main tremblante :
— Au cachot... ces deux-là... chacun dans un cachot... au secret !
Les archers les emmenèrent hors de la salle sans que leurs regards se fussent séparés. Leurs mains enchaînées les empêchaient de se toucher mais le muet langage des yeux les faisait proches comme aucune étreinte n'avait jamais réussi à le faire. Ils avaient tous deux la certitude que, de tout temps, ils avaient été élus, désignés pour se compléter, être chacun l'univers entier de l'autre et, dans leur bonheur présent, ils oubliaient non seulement tout ce qui les avait si longtemps séparés, mais encore la mort qui s'apprêtait pour eux...
Les "geôliers avaient si peur qu'ils pussent communiquer entre eux qu'on les enferma dans des tours différentes et au fond de basses-fosses. Arnaud était enchaîné au plus bas de la tour du Beffroi et Catherine dans un cachot de la tour des Deux-Écus, formant ainsi, avec la tour de Bouvreuil où languissait la Pucelle, un triangle tragique. Mais, bien que Catherine n'eût encore jamais connu prison si cruelle, car on l'avait descendue par une corde au fond d'un trou fangeux où ne pénétrait pas la moindre lumière, elle y vivait plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été dans le palais de Philippe ou dans l'hôtel fastueux de son mari défunt. Son amour lui tenait lieu de lumière, de chaleur, de tout ce nécessaire qui lui eût manqué si cruellement.
Elle était en état de grâce, soutenue dans sa misère par la pensée d'Arnaud, malheureuse seulement d'imaginer ses souffrances à lui. Une seule crainte : ne pas le revoir avant de mourir, mais cette crainte ne la tourmentait pas beaucoup : elle connaissait trop Pierre Cauchon pour le croire capable de se priver de ce divertissement de choix : leur offrir à chacun la
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